[Livre] La Maison des feuilles
⛔️ Si vous n’avez pas lu La Maison des Feuilles (House of Leaves) de Mark Z. Danielewski, je vous invite à arrêter de lire cet article tout de suite, et à tenter l’expérience de lecture de ce roman sans vous renseigner davantage.
Si vous détestez vraiment les gros romans de littérature fantastique, peut-être que ça ne vous plaira pas, mais dans le doute ça vaut le coup d’essayer !
Cet article c’est spoil-land, vous êtes prévenu·e.
Une histoire en abyme
Le récit est construit autour d’une famille hétéronormée (père, mère, fille et fils) qui emménage dans une maison. Le père, Navidson, souhaite documenter cette phase de vie et il filme tout.
Un jour, une étrange porte apparait dans une des pièces, et derrière cette porte se déploie un long couloir qui mène à des espaces intérieurs impossibles, une sorte d’immense dédale dans la maison, qui est pourtant trop petite pour le contenir.
Le long du roman, on va suivre l’exploration de ces espaces par Navidson… mais pas directement ! Un personnage, Zampano, a fait une sorte d’étude des films réalisés par Navidson, et ce en s’intéressant à ce que plein d’autres personnages ont dit sur le film. Mais Zampano est mort, et son travail est découvert par Johnny.
On suit donc finalement les aventures de Johnny qui lit le travail de Zampano qui s’intéresse aux vidéos de Navidson. (vous suivez ?)
Et à la fin du récit, Johnny rencontre des gens qui ont lu La Maison des Feuilles (le format que nous on lit) et qui se demandent ce qui est arrivé à Johnny ?? (je sais c’est pas très clair mais croyez moi l’histoire est difficile à résumer !!)
Une narration tentaculaire
Le récit en abyme est déjà un exercice de style : on lit à la fois le travail de Zampano et la vie de Johnny, et il faut qu’on puisse distinguer les deux (il y a un changement de police de caractères pour matérialiser ça). Mais la forme est bien pire que ça : l’auteur utilise des notes de bas de page, des annexes, de la disposition du texte sur la page, des coquilles intentionnelles, des répétitions discrètes, des retours en arrière… Le récit, à l’image de l’intérieur de la fameuse maison, est un vrai labyrinthe.
Et dans ces chemins tortueux on trouve énormément de citations, références bibliographiques, mention de personnes célèbres… Certains de ces éléments viennent du monde réel, et d’autres sont inventés de toute pièce ! L’auteur élargit ainsi la mise en abyme à notre réalité, sans qu’on sache à quel point. On lit une interview de Stephen King qui s’exprime à propos du Navidson record, et on découvre de longs calculs scientifiques sur la datation au carbone, sourcés par des études qui semblent crédibles.
Mon expérience de lecture
Je me suis plongée dans la lecture sans a priori, j’ai bien aimé l’histoire et me suis laissé portée. Par moments, j’ai trouvé le récit un peu prétentieux avec toutes ses références, un peu facile avec ses formes alambiquées… Mais j’ai été frappée par la mention d’une autrice : Donna Tartt.
Si vous ne voyez pas pourquoi, c’est normal : c’est extrêmement personnel. Donna Tartt est l’autrice préférée d’un ami avec qui j’ai vécu des choses très intenses, liées à la psychiatrie et les psychédéliques.
Tout à coup, les tourments des personnages me concernaient presque directement, l’atmosphère d’angoisse s’ancrait dans mon histoire à moi.
À cette époque, je jouais en parallèle au jeu Alan Wake II, qui est aussi dans un univers horrifique et psychédélique. Une musique a accroché mon attention : This Road par Poe. Je l’ai écoutée en boucle, cette chanson qui parle de boucle, et puis j’ai cherché d’autres musiques de l’artiste et j’ai découvert qu’une des musiques s’intitulait House of Leaves. J’ai finis par me rendre compte que Poe, de son vrai nom Anne Decatur Danielewski, est la sœur de Mark Z. Danielewski. J’ai l’impression que les tentacules de références du livre me persécutent.
Et là vous lisez un article qui parle des aventures de Johnny qui lit le travail de Zampano qui s’intéresse aux vidéos de Navidson qui filme La Maison des feuilles. Vous êtes déjà dans le récit.
D’autres expériences
Je n’ai pas été la seule à vivre cette proximité entre le livre et ma propre vie.
En 2022, un youtubeur très connu, ALT 326, a sorti en 2022 une vidéo dans laquelle il raconte qu’il lisait une scène où Navidson voit une lumière au bout d’un long couloir obscure. ALT 362 raconte qu’à ce moment il était seul dans sa chambre noire avec une lampe, et il a brusquement eu la forte impression que cette lampe était la lumière dont parle Navidson.
Une amie m’a dit qu’elle lisait La Maison des feuilles sur sa liseuse, mais que la liseuse a commencé à dysfonctionner au moment où le Johnny semble devenir fou. Cet événement l’a angoissée et elle a abandonné la lecture.
Au final, la forme tortueuse est truffée de jeux, qui placent lae lecteurice en position active, avec des choix à faire (lire les notes de bas de page ? trouver les messages cachés en morse ? Croire ce que raconte Johnny, ou bien considérer qu’il délire ? à un moment il ment carrément et l’annonce ensuite !!).
Le fait que le récit de Zampano soit parfois mis entre parenthèses pour décrire le vécu de Johnny, et que nous parfois on ferme le livre pour revenir à notre propre vie, ça nous rapproche de Johnny.
Et quand à la fin, Johnny devient fou dans une ambiance carrément Lovecraftienne, on ne sait plus quoi croire non plus, et on se sent sombrer comme lui, ou avec lui.