Rite funéraire d’une créature à huit pattes

Entre 2021 et 2022, j’ai gardé une petite araignée. C’était une Salticus scenicus et je l’avais nommée Quartz, parce que j’avais lesté son terrarium avec un quartz rose.

Cette espèce est de la famille des araignées sauteuses, les Salticidae. Elles ne tissent pas de toiles pour piéger des insectes, elles chassent. Leurs grands yeux leur permettent de repérer précisément leurs proies, et elles sont capable de bondir vite et loin. D’ailleurs, quand on approche son téléphone pour les filmer, elles sautent souvent sur l’objectif, produisant un événement vidéo du meilleur effet. 😎

Si elles ne construisent pas de toile 🕸️, elles produisent quand même un fil de soie. Ce fil est une sorte de cordon de sécurité, qui leur permet de faire machine arrière si elles tombent. Elles peuvent aussi utiliser leur soie pour construire des petits cocons afin de se mettre à l’abri, on appelle ça des loges, ou bien elles tissent autour de leurs œufs pour les protéger. Dernière chose : en particulier quand elles sont toutes petites, elles peuvent produire un fil qui flotte au vent… Jusqu’à les porter ! Une sorte de parachute ascensionnel qui leur permet de se disperser au vent comme la capacité vol dans pokémon sauf qu’on ne choisit pas la destination. (Et si vous voulez voir à quoi ça ressemble et par la même occasion voir un magnifique film pour enfant, je conseille Charlotte’s web qui termine sur une scène de ballooning 🎈)

Mais revenons à mon histoire que je n’ai toujours pas commencée !

Il était une fois nous étions le 24 juin 2021. Ce jour là j’ai trouvé Quartz dans une jardinière, au 8e étage de mon immeuble à Vanves, soit à 100 m du périphérique parisien dans le département le plus urbanisé du pays. Je l’ai mise dans une boite avec une mouche, juste pour voir si elle la prédaterait. Et finalement je l’ai gardé dans la boite en la nourrissant régulièrement de divers insectes que j’ai trouvés autour de chez moi. Elle n’a pas consommé les fourmis, ni les larves d’orthoptères, ni les punaises, mais elle consommait les diptères, parfois bien plus gros qu’elle.

Quartz faisait des loges sous le caillou, je nettoyais la boite de temps en temps, pour retirer les restes des proies, j’enlevais aussi les fils de soie.

Début septembre 2021, j’ai remarqué que la loge était plus opaque et blanche que d’habitude. J’ai pensé qu’il pouvait y avoir une ponte, alors je n’ai touché à rien.

Le 13 septembre 2021, j’ai distingué nettement des juvéniles. Ils sont doucement sortis de la loge, j’ai envisagé de les nourrir, mais j’ai été découragée par la fastidieuse tache de trouver des proies adaptées, alors je les ai relachées dans la jardinière où j’avais trouvé Quartz.

Courant février 2022, j’ai remarqué que Quartz perdait en vivacité, ses chasses se faisaient plus laborieuses.

Le 22 février 2022, je l’ai trouvée morte. Mais elle n’était pas simplement sur le sol avec les pattes recroquevillées : elle avait tendu un fil de part et d’autre de la boite, et elle s’était posée dessus. J’ai appelé ça un hamac funéraire. 🪦

Quartz sur son hamac funéraire, le 22 février 2022

Les aranéologues à qui j’ai parlé de tout ça m’ont dit n’avoir jamais vu de tels cas alors je pense modestement que mon observation vient révolutionner l’ensemble de la science et changera radicalement l’avenir du monde. … Enfin plus sérieusement c’est quand même fou cette histoire !!

Fin.