Lectures de 2023

Par manque de temps j'ai écrit ma liste de lectures, habituellement destinée à ma capsule Gemini, en français, et ça m'embête de poster du contenu non traduit là-bas, et d'un autre côté je suis content d'alimenter cette instance WriteFreely où Laërte et Mystr (en privé) postent déjà du contenu in·cro·yable, donc je pose ça ici pour l'instant.

Baptiste Morizot : Manières d'être vivant

Le premier texte mêle une histoire de pistage de loups dans le Vercors avec un essai sur les communs de l'être humain et de ce qu'on appelle la nature, ou les animaux. Un passage notamment traite du fait qu'appeler les autres animaux tel quel, avec ce terme “autre” permet de souligner notre appartenance à un même groupe.

Le second texte traite plus d'évolution. Il passe sur un débat intéressant entre l'évolution qui serait d'une part un pur fruit du hasard, et de l'autre une mécanique qui tendrait forcément vers l'homme, jusqu'à une perfection qu'on ne connaît pas encore ; il présente la théorie plus prometteuse et a priori respectée aujourd'hui parmi les scientifiques que l'évolution par certains caractères se fait parce qu'ils sont simplement avantageux quoi qu'il en soit : les yeux, la photosynthèse, une forme d'intelligence, etc, et on peut le démontrer notamment par le fait que ces caractères ont été développés en parallèle par plusieurs organismes, et non pas par un individu unique quelque part dans l'évolution des espèces, e.g. la photosynthèse qui aurait été développée plus de cent fois indépendamment.

Le troisième texte est un vaste appel à lire Spinoza.

Le quatrième texte raconte l'expérience de l'auteur comme observateur au sein d'un projet de supervision des relations entre les éleveurs, leur bétail, leurs chiens, les loups et les chasseurs. Leurs interactions sont d'une complexité proprement passionnante et permettent à l'auteur de tracer les lignes de la pièce manquante de nos sociétés, la diplomatie entre les espèces.

L'épilogue est du pur Damasio.

C'est une lecture très agréable et j'y ai appris pas mal de choses, mais je me posais quelques questions d'efficicaté politique—surtout après la lecture de l'article de Joseph Confavreux « Le “vivant” noie-t-il le poisson politique ? »—que je voulais poser quelque part sur papier et j'ai oublié.

Frédéric Beigbeder : 99 francs

Une histoire de publicitaire qui pète les plombs. Le livre est écrit comme un roman dont le côté autobiographique est volontairement à peine dissimulé : le personnage écrit un livre pour se faire virer du milieu de la pub, car c'est ce que l'auteur faisait en écrivant ce livre ; méta !

Il y a des bonnes idées mais c'est vraiment une narration de mec de droite qui pense surpasser sa condition de mec de droite ; il y a une scène où les personnages vont tabasser une retraitée de Floride dont les thunes sont probablement dans les larges fonds de pension américains, avec une rhétorique de gauchiste maladroite. L'auteur est étrangement fasciné par l'omnipotence de la publicité et de ce qui serait son pouvoir absolu sur les gens, jusqu'à ce que se confonde la critique et une admiration à peine voilée. C'est aussi très vulgaire sans justification.

Virginie Despentes : King Kong théorie

Virginie Despentes parle de sa conception du féminisme, raconte sa jeunesse, son intimité, son viol, sa prostitution. Un article de Camille Paglia l'encourage à considérer son viol comme étant une conséquence du risque qu'il y a à sortir comme femme libre, et non comme une honte à garder sous silence.

L'essai constitue une porte d'entrée spéciale sur le féminisme et je le recommande à quiconque souhaitant de nouvelles perspectives sur le sujet. Ça m'a beaucoup plu.

Virginie Despentes : Baise-moi

Nadine et Manu se retrouvent simultanément dépourvues de quoi que ce soit à perdre et partent en cavale pour accomplir personne ne sait trop quoi ; expérimenter une jouissance crue et sans compromis sur les routes de France, dont les seuls constantes seront l'alcool, le sexe et le meurtre.

C'est le premier roman de Despentes, dont est issu un film sorti en 2000 qui a été censuré en France. Si on connaît les films God Bless America ou The Devil's Rejects, c'est assez ouf de constater à quel point ce roman possédait déjà tout. C'est plus dur et froid que d'autres romans plus connus de Despentes comme Vernon Subutex, il y a beaucoup de scènes de violence, une scène de viol, plusieurs meurtres notamment envers des personnages qu'on n'est pas habitué à voir tués.

C'est aisément mon roman trash préféré (OK je connais que lui) mais je ne le conseille qu'aux cœurs bien accrochés. La fin est stylée ! 💯

John Fante : Demande à la poussière

Les aventures de Bandini, aspirant écrivain avec un goût immodéré pour les femmes, l'alcool et le scandale, il me fait un peu penser à un copain mais je dirais pas qui. On suit sa vie à Los Angeles, son histoire d'amour avec Camilla la serveuse d'un bar, leurs disputes et leur incapacité à communiquer leurs sentiments. Le désert de Californie est toujours là en train de les menacer de les engloutir sous sa poussière. C'est un roman poignant, à la fois drôle et amer. Ce style crypto-autobiographique où l'on fait comme si on n'écrivait pas sa propre histoire me plaît beaucoup et j'espère avec l'occasion de lire d'autres livres de Fante.

Charles Bukowski : Le postier

L'histoire d'un postier et de ses conditions de travail. Quand les personnages crient, il écrit en majuscule et je trouve ça très appréciable. Bukowski est un peu trop obsédé par le cul, des fois c'est un peu gênant, mais ça a son sens comme échappatoire à l'enfer du taf. Il y a une bonne dose d'humour amer, notamment la scène de cul avec les pots de géraniums qui tombent mais j'en dis pas plus. Attention tout de même des fois ça va trop loin et il y a une scène de viol tout à fait assumée que j'ai trouvé dure à lire.

Mircea Eliade : Le sacré et le profane

Petite introduction à l'étude phénoménologique et historique des faits religieux. On y apprend notamment comment les rituels comme le ramadan ou les rituels saisonnier servent à reproduire un temps originel, sacré, pour ramener à l'existence profane, c'est à dire hors des phénomènes divins, une présence sacrée. On retrouve ce besoin d'amener le sacré également dans les manières d'établir un nouveau village (feu central), dans l'architecture et l'aménagement des maisons.

En tant qu'athée, ce livre m'a permis de mieux saisir comment les personnes religieuses perçoivent l'univers autour d'eux, leur « cosmos », et d'y trouver des similarités avec mes propres habitudes et approches du monde. Il est sans doute utile de préciser que les travaux d'Eliade, même s'ils sont reconnus, sont toujours sujets à de vives critiques donc tout est à prendre avec des pincettes, et en plus c'était sans doute un gros facho. Une critique revenant souvent est que les thèses présentées sont très réductrices, et qu'il ne suffit pas de répéter qu'il ne s'agit que d'une introduction à un vaste champ d'études pour expliquer comment des cultures aux histoires si variées soient si facilement assimilées.

Chapitres :

  1. L'espace sacré et la sacralisation du Monde
  2. Le Temps sacré et les mythes
  3. La sacralité de la Nature et la religion cosmique
  4. Existence humaine et vie sanctifiée

Andrzej Sapkowski : Le Sorceleur (livre 1)

Un recueil de nouvelles fantastiques sur les aventures de Geralt de Riv, un sorceleur. C'est ce personnage et ses histoires qui donna lieu à la série de jeux vidéo The Witcher. Le monde est habité par tous les éléments du corpus habituel des mondes de fantasy occidentaux, avec l'ajout de monstres spécifiques à la culture slave, notamment des kikomoras, des bruxæ, etc. Les histoires sont plutôt sympas à suivre, avec plein de rebondissements, les personnages s'étoffent petit à petit et le monde se dévoile (sans trop de surprises). Le style est OK, ma plus grosse critique serait qu'on sent un regard un peu lubrique de l'auteur sur ses personnages féminins, avec des scènes érotiques servant bien peu le récit.

William Faulkner : Le bruit et la fureur

Un récit chaotique d'une famille en totale déliquescence. On suit le monologue interne de quatre personnages différents pendant quatre parties du livre, avec chacun une façon différente de brouiller le récit, par des sauts dans le temps constants, genre tous les paragraphes, ou d'absence de ponctuation, ou en étant tout simplement un personnage inapte à réfléchir normalement.

J'ai eu beaucoup de mal au début et au milieu et à la fin ça allait mieux mais je suis pas sûr de pourquoi je me suis infligé tout ça. Pour l'expérience stylistique de la perte de repères ?

Bernard Friot : Vaincre Macron

Un exposé de ses thèses sur la question des retraites, la principale étant que la gestion des caisses de retraite, amenée en 1946 par Ambroise Croizat et le CNR au sein du projet global de Sécurité Sociale, par les travailleurs eux-mêmes constitue un « déjà-là communiste » sur lequel il faut capitaliser (🤣) pour lutter vers un salaire à vie et ne rien lâcher de ce que nous possédons en sécurité social.

Bon, moi je suis déjà assez conquis à ses propositions, mais j'ai trouvé très dommage qu'il attende la toute fin du livre pour répondre à la question, qui ne manque pourtant jamais de tomber, du financement d'un tel changement de paradigme dans le partage des ressources par l'évidence même que serait l'appropriation des moyens de production. Mais oui c'est vrai, qu'est-ce qu'on attend après tout ? À ce stade on serait pas mieux d'abolir l'argent du coup ? La valeur ? À part ça c'est assez fastidieux à lire, il faut vraiment vouloir en apprendre un rayon sur les nuances entre les différents systèmes de caisses de retraite—ce qui n'est pas mon cas, d'ailleurs j'ai à peu près tout oublié—ce qui ne facilite pas la diffusion des idées de Friot que je juge par ailleurs comme tout à fait pertinentes et révolutionnaires.

Joseph Conrad : Typhon

C'est un capitaine, à mon avis sur le spectre autistique, qui dirige un bateau au sein d'une épique tempête en mer. C'est INCROYABLE ! Et très court, franchement foncez ! Et après allez jouer à Return of the Obra Dinn ! 🌊⛵

David Graeber & David Wengrow : Au commencement était…

Un colossal essai entre Graeber l'anthropologue et Wengrow l'archéologue, impossible à résumer, mais ré-articulant de mille manières la question du commencement dans l'humanité : qui étaient ces ancêtres chasseurs-cueilleurs, quels sont les stades d'évolution d'une société, l'état-nation est-il inexorable, après tout le capitaliste n'est-il pas le parfait aboutiss-OH du calme là ! La réponse est souvent à rebours de nos conceptions, et elle est copieusement argumentée et ponctuées d'anecdotes qui font tenir sur un voyage dans les humanités qui peut vite faire tourner la tête et se sentir perdu. Il n'y avait à peu près pas de tribus primitives de chasseurs-cueilleurs nomades qui se seraient sédentarisés, les sociétés n'ont presque jamais évolué de façon réellement similaire, l'état-nation ne saurait être qu'une parenthèse de l'histoire. Bon ça c'est moi qui projette.

Honnêtement, je me suis totalement senti perdu. Mais ça n'est pas bien important car les thèses avancées sont souvent présentées plusieurs fois, pour leur permettre de se corroborer et d'ancrer ce qui est je pense le plus important pour le lecteur profane, c'est à dire l'idée qu'il n'y a pas, dans l'histoire de l'humanité, un commencement mais une profusion d'histoires dont nous n'avons que rarement idée de la richesse et de la diversité, que voir notre passé à l'aune du Capitalocène n'est souvent pertinent que pour les capitalistes, et en ça c'est un ouvrage passionnant !

John Steinbeck : La perle

Un pêcheur d'une famille très modeste tombe sur un perle incroyable, mais sa quête pour transformer la providence en prospérité pour sa femme et son fils ne sera pas sans embûches. Bon j'ai vraiment pas trop aimé, alors que j'ai adoré Des souris et des hommes, c'est très… simple, creux et lourd à la fois ?


J'ai malheureusement abandonné par manque de temps, bien que c'étaient d'excellentes lectures :

#lectures