Devenir trophée
Il y a maintenant quelques années, j’étais à la recherche de règles simples mais évocatrices, afin d’être en mesure de proposer des parties de jeu de rôle à des amis non joueurs. Mes critères étaient simples : cela devait être facile à expliquer, rapide à mettre en place, et les règles devaient renforcer l’univers de jeu.
Et des vents obscurs venus des profondeurs du web m’ont apporté une chose merveilleuse : Cthulhu Dark. En 4 courtes pages, un concentré d’élégance offrait une expérience de jeu agréable et rafraîchissante. Et puis j’ai lu les encore plus courtes extensions Dark Tales et Dark Depths. J’étais convaincu.
If you fight any creature you meet, you will die. Thus, in these core rules, there are no combat rules or health levels. Instead, roll to hide or escape.
Cthulhu Dark, par Graham Walmsley
J’ai même, ce que je ne fais que très rarement, participé à la campagne de financement d’une version physique, livre magnifique (en pdf par ici) proposant différents scénarios et décors-époques de jeu.
Trophy Dark
Il y a maintenant 6 mois, j’étais encore à la recherche de règles simples et évocatrices. Parce qu’entre-temps, c’est devenu pour moi la meilleure façon de jouer, ou du moins celle qui m’est le plus agréable. Et c’est alors que j’ai rencontré Trophy Dark. Une version française est disponible, même si son contenu est rudimentaire par rapport à la version d’origine.
L’inspiration assumée de Cthulhu Dark m’a attiré. La suggestivité du jeu, ne serait-ce que lors la création de personnage, est ce qui m’a convaincu. Enfin, une relecture attentive des règles, et quelques vidéos de démonstration ont fini d’achever de construire mon opinion de la chose : Trophy Dark est une perle.
Suggestivité
C’est une notion importante. Un univers fouillé et précis, détaillant ses milliers d’années d’histoire n’est jamais convivial. L’appropriation de ce type de proposition est éreintante, et bien souvent un combat injuste : il est impossible de savoir si le tout a réellement du sens avant d’y avoir consacré des heures en lecture et en immersion.
La suggestivité, c’est l’inverse, et c’est là que Trophy excelle (oui, Trophy tout court, car il en existe une autre version, Trophy Gold, dont je reparlerai un jour).
En effet, en moins de 3 minutes, vous vous retrouverez à jouer un ancien berger sans troupeau, devenu astrologue, prêt à mourir dans une forêt plus ancienne et sombre que l’humanité ou dans un lieu légendaire et terrifiant, animé par un espoir maigre de ramener quelque trésor lui permettant de reconstruire la fontaine d’Hisham. Et c’est là qu’une porte vers un imaginaire collectif s’ouvre. Qu’est-ce que la fontaine d’Hisham ? Comment un astrologue s’est-il retrouvé à tout risquer pour elle ? Un berger sans troupeau, l’a-t-il perdu, en a-t-il jamais eu un jour ?
Et puis enfin, mener ce personnage et ses compagnons à leur inéluctable perte.
Élégance et intrication
De nombreux jeux de rôle ont fait le choix de systèmes génériques servant de bases, sur lesquelles on ajoute un univers. Et ils ont fait leurs preuves, les exemples ne manquent pas : du classique D20 à l’ancestral Basic, en passant par GURPS ou encore Fate.
Pour ma part, j’ai tendance à trouver agréables les JDR qui font le choix d’enchevêtrer en un paradigme unifié leurs caractéristiques ludiques et fictionnelles. Le seul frein à cette préférence, est qu’elle force à devoir apprendre un nouveau système, une nouvelle manière de faire les choses dès que l’on souhaite changer de jeu. Et bien souvent, on fait face à des systèmes complexes, ou du moins longs à appréhender.
C’est là que la notion d’élégance entre en scène : il est possible de concevoir un JDR dont les règles sont limitées à la proposition narrative. Et dont l’univers fictionnel est façonné par la proposition ludique. Et l’on peut alors avoir, comme dans Cthulhu Dark ou Trophy Dark, des systèmes de résolution simples à appréhender, rapide à apprendre, facile à mettre en place, et qui fonctionnent magnifiquement.
C’est en résumé ce que je cherche : un univers original et fort, avec des règles qui mettent en valeur le fond, et que le tout soit proposé dans un format digeste. Une forme d’élégance.
Le jeu, en jeu
Vous aurez pu le deviner, Trophy (en incluant Trophy Gold) a pris une place de choix dans mon cœur. Concentrons-nous sur Trophy Dark pour le moment.
La proposition du jeu étant originale, il n’est pas forcément évident au premier abord de se rendre compte réellement de la chose. Je ne peux que vous enjoindre à vous laisser guider par Jason Cordova (l’éditeur de Trophy) et ses joueurs vers la Flocculent Cathedral, c’est en 2 parties, ici et là. C’est en anglais, et j’avoue ne pas avoir regardé de vidéos en français. Je ne saurais donc vous en conseiller.
Et pour un témoignage plus direct, plus personnel, je peux vous parler de mon expérience toute récente d’une partie durant laquelle j’ai été joueur. J’écris ces mots à peine quelques heures après, et mes souvenirs sont encore frais.
La situation était particulière : du jeu de rôle à distance, par discord. Avec des installations de caméra à la fois instables et audacieuses. Une utilisation du très simple mais efficace lanceur de dés créé expressément pour Trophy, entachée par un léger bug : nous ne voyions que nos propres jets. Avec des joueurs peu expérimentés sur ce type de jeu, le tout animé par quelqu’un dont c’était la deuxième expérience en tant que maître du jeu. Bref des conditions imparfaites, mais suffisantes pour passer une bonne soirée !
D’ailleurs, point intéressant pour les MJ peu aguerris : il s’avère que suivre de manière absurdement rigide les règles et la façon indiquée par les textes de diriger une incursion (jargon trophyien pour dire scénario) fonctionne. Terriblement bien. Et au vu de la quantité très franchement minimaliste de ces règles, cela ne rend pas la chose laborieuse.
Et en effet, quelle soirée ! Je ne vais pas rentrer dans les détails et les anecdotes, car rien ne vaut le vécu, et je ne me sens pas en capacité de pouvoir retranscrire fidèlement les événements de la partie.
L’ambiance était là, incontestablement. Même si tout le monde n’a pas été à l’aise pour plonger dans les ténèbres : il est en effet peu évident sans expérience, d’accepter de faire de son personnage, son héros, sa voix intradiégétique une présence dangereuse ou égoïste, et la philosophie du play to lose demande à être apprivoisée. Mais malgré ça, la partie fut agréable, et la fin sans appel, dans le sang des destinées perdues.
Source des illustrations :
- « Bulletin of the Museum of Comparative Zoology at Harvard College » (1883-1885)
- « American forestry » (1910-1923)
- « Elements of forestry » (1914)
- « The Bell System technical journal » (1922)
- « Chess and playing cards » (1898)