Fragments

Tenir un blog sans établir préalablement un thème structurant son contenu est un exercice ambigu : on peut laisser libre cours à ses envies d’écriture, mais des frontières sont à établir tout de même. Tout ne se partage pas, ou du moins tout ne se partage pas sans passer par un filtre. Avec le temps, le filtre peut s’affiner ; il n’est pas si rare de lire un blog à rebours, et de parcourir à l’envers la route qui a mené d’un contenu fourre-tout à une thématique précise.

arbre perdant ses feuilles

Je suis loin d’en être là, le contenu que je propose ici est encore en cours de définition. Et en attendant que j’aborde certains sujets, ce billet est pour moi une manière de partager quelques unes de mes lectures qui sont pour le moment au même point que ce blog : ébauchées ou fragmentées.

Je ne finis pas toujours les livres que je commence ou ré-aborde. Je ne tire aucune fierté du fait de finir tel ouvrage qui m’est difficile à lire, et je ne me lance pas de défis de lecture. Je lis ce que je souhaite quand je le désire. J’ai parfois goût à me plonger dans ce que je n’aime pas, par curiosité, pour me laisser la possibilité de changer d’avis, ou simplement pour mieux comprendre mon ressenti négatif face à une œuvre ou un auteur, mais en aucun cas je me force.

Rien n’indique que je vais achever la lecture des ouvrages listés plus bas, mais une lecture parcellaire a sa propre valeur, et c’est elle que je veux évoquer, ainsi que son contexte ; à quoi sert un blog si on ne parle pas égoïstement de soi ?

book cover

Célubée — Isabelle Hausser

Un ami fit il y a peu un passage par chez nous, c’était la fin de l’été, au cœur de la saison des vides-greniers et des braderies. Et justement se tenait en ce jour celle de la ville ou je réside.

Nous en avons fait un tour, et j’en ai profité pour acquérir quelques livres à bas coût. L’ami en question, alors que nous nous apprêtions à rentrer fit une lecture rapide de la quatrième de couverture d’un livre qui avait attiré son regard et me dit quelque chose du type « j’ai rien compris ». À sa décharge, il était épuisé. Intrigué, je ramenai la chose. C’était Célubée.

Nous étions maudits, plus encore que je ne le supposais. Ce qui était arrivé aujourd’hui, en pleine lumière, avait dû se produire à maintes reprises déjà, sans que personne s’en aperçoive.

Il s’agit d’une forme de fantasy calme, sans elfes ni mages ; un monde imaginaire servant à la fois de matière brute et de prétexte romanesque. Certaines choses me parlent, on y trouve un récit dans le récit, construit et narré de l’intérieur par les protagonistes. C’est un procédé souvent mal utilisé, mais ici, une certaine finesse est déployée dans l’entremêlement des narrations.

cité légendaire

Alors que je cuisinais tout à l’heure, j’ai tout juste entamé le deuxième tiers de ce roman plutôt imposant. Je l’apprécie pour l’instant, son rythme lent et maîtrisé y est pour quelque chose. Il est tout à fait possible néanmoins que l’ennui prenne le pas sur l’envie de découverte. Quoi qu’il en soit, je n’avais jamais entendu parler ni de ce livre, ni d’Isabelle Hausser en général, et il est plutôt rare qu’un roman de fantasy ne me tombe pas des mains en moins d’une heure. Il me semble donc important d’en partager ici l’existence. Et il est probable que je m’intéresse aux autres écrits de l’autrice s’il y en a.

L’Éthique — Baruch Spinoza

Quiconque a lu l’Éthique se souvient au moins autant de l’acte de déchiffrage de ce texte que de son contenu. Et je refuse de croire que quelqu’un puisse avancer qu’il s’agit d’un écrit facilement abordable et qui se lit naturellement.

I. J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence ; autrement dit, ce dont la nature ne peut être conçue sinon comme existante.

Ce livre est un monument, non par sa taille, mais par son propos et sa forme hors du commun. Spinoza s’est évertué a raisonner comme on le ferait pour une démonstration géométrique : tout tourne autour de définitions, propositions, démonstrations, axiomes, etc.

II. Cette chose est dite finie en son genre, qui peut être limitée par une autre de même nature. Par exemple un corps est dit fini, parce que nous en concevons toujours un autre plus grand. De même une pensée est limitée par une autre pensée. Mais un corps n’est pas limité par une pensée, ni une pensée par un corps.

J’ai lu il y a longtemps ce texte, et il m’a laissé un souvenir durable. Trouvé pour moins d’un euro à la braderie évoquée plus haut, je me suis laissé tenter. Et le lendemain matin, levés bien tôt pour accueillir des artisans qui devaient intervenir dans notre logement, en compagnie de l’ami épuisé qui fut la cause de l’acquisition de Célubée, la lecture put avoir lieu.

III. J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi : c’est-à-dire ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’une autre chose, duquel il doive être formé.

J’ai donc, je ne sais plus exactement pour quelle raison, commencé de lire l’Éthique à voix haute. Après réflexion, c’est certainement une des pires choses à infliger à une personne sortant d’un festival, à peine reposée par une nuit courte interrompue par l’arrivée de menuisiers et de peintres.

géométrie

Quoi qu’il en soit, l’anecdote est amusante, et même si je ne pense pas continuer cette relecture tout de suite, l'Éthique reste un livre magnifique quoi qu’imparfait. Et je peux qu’en conseiller la lecture à ceux qui seraient intrigués par sa forme ou son sujet.

Jane Eyre — Charlotte Brontë

Voici une chose bien connue, dont seul le nom m’était familier. C’est la seule des sœurs Brontë dont je n’avais rien lu jusqu’à présent, malgré la grande réputation de ses romans.

Jusqu’ici j’ai raconté avec détail les événements de mon existence peu variée ; pour les premiers jours de ma vie il m’a fallu presque autant de chapitres que d’années ; mais je n’ai pas l’intention de faire une biographie exacte, et je ne me suis engagée à interroger ma mémoire que sur les points où ses réponses peuvent être intéressantes ; je passerai donc huit années sous silence ; quelques lignes seulement seront nécessaires pour comprendre ce qui va avoir lieu.

Premier constat : l’écriture est austère, même si élégante. La traduction que j’ai sous la main y est pour quelque chose je crois. Elle est très certainement datée, peut-être peu fidèle, mais sa langue surannée crée une patine qui ajoute une allure convenant agréablement à l’atmosphère dure et étouffée d’un XIXᵉ siècle anglais qui ne cache pas ses tourments.

victorian woman

Loin de moi la prétention de vouloir exprimer ce qu’est Jane Eyre. Tout au plus, je peux en faire un résumé ingrat : c’est une sorte de roman anglais, qui sous une forme pseudo-autobiographique propose un récit dont le sous-texte féministe est à la fois affûté et salvateur dans un siècle de littérature dominé injustement par des grands hommes de lettres.

Ma lecture est pour le moment en pause. Mais je ne vois pas ce qui empêcherait non seulement je la termine, mais aussi que je jette un œil à la version originale. Ce roman fait indéniablement partie de ceux dont l’image qu’on peut avoir d'eux a priori correspond à la réalité. Mais comme souvent dans ce genre de situation, la réalité du texte est bien plus belle que l’imaginaire qu’on peut en avoir.

#lectures

Source des illustrations :

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