Modding, une fin de parcours ?
Avant-hier, je me suis rendu à un vernissage d’exposition. Jusque-là, rien de surprenant en dehors du fait que je n’assiste presque jamais à ce type d’événement. Mais il s’avère que j’ai contribué à la création d’une des œuvres présentées. Et avec un peu de recul, force est de constater que le parcours qui m’a amené à ça est assez amusant.
Plutôt que de vous enjoindre à visiter l’exposition en question, ou de présenter ce à quoi j’ai participé, je préfère d’abord parler de ce cheminement.
Le modding, une étrange chose
Le modding est une pratique étrange, consistant à modifier un jeu vidéo pré-existant. Il s’agit au fond d’une manière parmi tant d’autres de s’impliquer dans le monde vidéo-ludique : on peut jouer, on peut créer des jeux vidéo, on peut s’impliquer dans des communautés, on peut critiquer, on peut modifier, etc.
C’est aussi une activité beaucoup moins monolithique qu’il pourrait y paraître au premier regard : certains jeux sont prévus pour être moddés, d’autres non, avec des éditeurs qui tentent de l’empêcher ou n’envisagent même pas la possibilité. Certains moddeurs ont pour but de créer du contenu jouable, d’autres de corriger ou rééquilibrer un jeu, d’autres encore de s’amuser avec de l’improbable, et certains y cherchent une activité créatrice presque décorrélée du jeu vidéo.
Du jeu au non-jeu
Mes premiers pas dans le domaine étaient motivés par l’envie classique de créer du contenu jouable supplémentaire pour des jeux que j’appréciais. Ces tentatives n’ont jamais donné de résultat satisfaisant, et je suis presque heureux que plus rien ne subsiste de mes anciennes créations sur des jeux comme Doom ou Quake.
Puis cette envie a cédé le pas à de la curiosité concernant le processus de fabrication de jeu vidéo. L’éditeur de Morrowind m’a beaucoup apporté sur le sujet, et je me suis un temps assez largement impliqué dans la communauté des moddeurs de ce jeu. Et puis tout ceci m’est passé.
C’est bien plus tard que le modding m’est retombé dessus par une voie détournée. J’ai beaucoup joué à World of Warcraft (WoW) pendant quelques années. Et au bout d’un certain temps, ma fascination première a été l’exploration. Non l’exploration prévue par les développeurs, mais une forme plus étrange : le but était d’aller voir par des moyens détournés l’envers du décor. Mes accomplissements étaient d’accéder à des zones non finies, des sommets de montagnes prévues pour n’être que des arrières plans, etc.
Et c’est là qu’est née l’idée d’aller voir dans les fichiers du jeu s’il ne s’y trouverait pas des choses non implémentées à voir et à découvrir. Et de fait, les fichiers de WoW regorgent de brouillons, esquisses abandonnées, et autres vestiges du processus de développement. Et avec un peu (très peu, à l’époque) de technicité, il est tout à fait possible de les voir dans le jeu. Le modding m’avait donc rattrapé.
Il s’agissait dès lors d’une étonnante chasse à la connaissance en environnement hostile ; cette pratique était formellement interdite par Blizzard (le développeur et éditeur du jeu), et l’on pouvait considérer ça comme une forme d’acte d’émancipation dans un produit travaillé pour proposer une expérience de jeu la plus lisse possible. Si l’on ajoute à ça le fait que WoW est fondamentalement multijoueur, on comprend pourquoi des communautés entières se sont réunies autour de ces pratiques marginales.
Une forme étrange de réappropriation collective a alors lieu : un jeu et ses règles s’effacent derrière un terrain de jeu et d’expérimentation. L’étape suivante, qui fut franchie presque mécaniquement, fut la création de contenu. Non pas jouable, je n’ai pour ma part jamais imaginé réussir à créer du contenu digne d’un mmorpg aussi populaire avec des outils rudimentaires. Il s’agissait plutôt de créer pour créer. Un acte délibérément abstrait.
Bien des années plus tard, cette vision s’est concrétisée lorsqu’une bande de joyeux drilles dont j’étais membre a fini par mettre au monde une vidéo nommée Coffee induced dreams. J’ai certes été à l’origine du projet, mais le travail fut collectif autant que colossal : environ 8 ans de travail irrégulier, des milliers d’heures d’investissement personnel de la part d’un gros paquet de gens, le tout en utilisant une somme de savoir et d’outils (parfois créés pour l’occasion !) accumulés depuis la sortie du jeu. Et ça afin de proposer une sorte de court métrage sans message évident, sans scénario, quelque part entre démonstration technique, expérimentation, et manifeste pour une réappropriation de la matière jeu vidéo.
Voilà la chose, pour ceux qui souhaiteraient y jeter un œil. Et je me dois d’avouer que je reste aujourd’hui très fier à la fois du travail effectué, et du résultat.
Toutes les bonnes choses ont une fin
La situation ainsi que mon rapport au modding auraient pu en rester là. Soit par une continuation de cette pratique sous cette forme, soit comme je le croyais par un arrêt définitif.
En effet, j’ai beau avoir développé durant ce temps un discours autour du jeu vidéo, et de sa souhaitable réappropriation dans la création artistique en tant que matière, au sens plastique du terme, le fait est que j’avais tourné la page.
Jusqu’au jour ou un couple d’amis sont venus nous voir, pour nous proposer une collaboration autour d’un projet d’installation artistique composée entre autres d’une part interactive dont les fondations reposent sur le travail que nous avions effectué sur WoW.
Des palmiers, par centaines et par milliers
Je ne suis pas bien placé pour résumer la proposition artistique des amis que j’évoquais. Si vous habitez dans le coin de Rennes, le mieux est peut-être pour vous de vous déplacer aux Ateliers du vent pour découvrir l’exposition Vaporwave: A Liminal Space. Vous avez jusqu’au 16 juillet, donc ne traînez pas. Notre installation est celle appelée Palmeraie 2000.
Je vais donc parler plutôt de ce qui a fait la particularité de ce projet pour moi. Premièrement, ma pratique du modding a quasiment toujours été motivée par des raisons personnelles : des projets qui m’étaient propres, ou bien d’autres sur lesquels j’avais été partie prenante de leur naissance. Ensuite, ces différentes créations ont toujours été plus ou moins autonomes : soit cantonnées à leur espace d’origine, le jeu, soit prévues pour être filmées et donc stabilisées sous une forme pérenne.
Et là, je me suis donc retrouvé à travailler en groupe, en m’adaptant à une demande externe, le tout pour proposer une expérience interactive intégrée à une installation dépassant largement le cadre du jeu.
Autre point intéressant, le détournement. World of Warcraft est un jeu dont le monde est essentiellement statique. Tout changement sur le terrain demande une mise à jour du jeu, ou des manipulations un peu étranges. Nous souhaitions que des palmiers apparaissent sur le territoire de jeu auquel seront confrontés les visiteurs de l’exposition. Et qu’une autre interface permette d’y ajouter et d’y enlever de nouveaux palmiers. En bref, que le monde soit évolutif et interactif. Il a donc fallu détourner singulièrement les outils mis à disposition par le jeu et une bonne dose d’effort collectif pour arriver à ce résultat.
Cette vision du modding ou l’on dépasse à la fois les limites du jeu, mais aussi les limites jouables du jeu et de son moteur est à mon goût extrêmement intéressante, et j’adorerais voir d’autres travaux pensés dans ce sens. Il serait par exemple impossible d’utiliser les techniques d’évolution de la carte que nous avons mises en place pour créer quelque chose de réellement jouable dans le moteur de WoW.
Des fins qui ne durent pas
J’ai déjà abandonné le modding après mon passage sur Morrowind, puis une deuxième fois suite à mon passage sur World of Warcraft. Le projet Coffee induced dreams m’a poussé à réinstaller WoW et à m’y replonger. Ensuite, rebelote avec Palmeraie 2000. Je peux m’avancer sur une chose : je me relancerai peut-être dans du modding à l’avenir, mais certainement pas sur World of Warcraft, mes liens avec ce jeux sont défaits depuis trop longtemps désormais. Nous verrons bien ou les vents futurs me porteront.
Source des illustrations :
- « Gazette des beaux-arts » (1859)
- « The laws and principles of whist stated and explained and its practice illustrated on an original system, by means of hands played completely through » (1881)
- « The Earth beneath the sea : History » (1963)