O・TO・GI
En introduction du précédent billet, j’évoquais le calme qui a régné sur ce blog durant les derniers mois de l’année passée. Une explication supplémentaire à ce silence peut être donnée ainsi : j’ai joué à Otogi: Myth of Demons.
Simplement dire que j’ai joué à Otogi résume mal la force avec laquelle j’ai été frappé par l’expérience. Mais avant de tenter tant bien que mal d’expliquer ce qu’est ce jeu et d’essayer de vous convaincre de sa grandeur, un peu de contexte semble nécessaire.
Un peu d’histoire
L’histoire de FromSoftware (qu’on abrège volontiers en un fromsoft amical) est hélas bien souvent présentée ainsi : FromSoftware a une réputation bien assise dans le monde du jeu vidéo. Après des années (décennies !) de stagnation et de productions obscures, fromsoft a émergé de l’ombre en 2009.
Depuis Demon's Souls, Hidetaka Miyazaki propose et peaufine à chaque nouvelle sortie une formule de jeu originale et marquante. De jeu en jeu, de nouveaux publics ont été conquis, et cette vision personnelle de ce que peut être un jeu vidéo est devenu une source d’inspiration et d’admiration pour de nombreux joueurs et créateurs.
Cette vision de FromSoftware est un cliché : il est difficile de ne pas lire ou entendre une variation sur ce thème dès qu’un fan des souls prend la parole. C’est une narration biaisée, et en grande partie fausse.
Ce discours dominant n’est heureusement pas le seul que l’on peut trouver. De nombreuses voix défendent leurs anciennes licences, comme Armored Core ou King's Field.
Mais ce qui est souvent invisible, c’est que FromSoftware était déjà le FromSoftware d’aujourd’hui avant Miyazaki.
L’âge des anciens – de 1994 à 1997
Le site officiel de l’entreprise offre une plongée dans le passé brumeux de FromSoftware. Au fur et à mesure de la descente, des noms de jeux méconnus font leur apparition, accompagnés de repères temporels tels que les sorties de consoles ou les prix reçus.
Leurs jeux les plus anciens sont les premiers King's Field. Étranges et prenants, même si austères et difficiles d’accès, je conseille d’au moins en essayer un. On y trouve déjà des éléments qui sont encore aujourd’hui parties intégrantes de la patte fromsoft : un level design tortueux et audacieux, de la dark fantasy désespérée, une immersion dans un monde au premier abord incompréhensible, etc.
On trouve aussi dès le début de leur parcours vidéo-ludique les premiers Armored Core, peut-être historiquement leur licence phare.
Cette série, je ne la connais que peu : des rapides lectures d’articles, une poignée d’images glanées de-ci de-là, quelques témoignages d’amis m’ayant partagé leurs souvenirs et une heure ou deux passées à essayer un des opus sont loin de suffire pour apprécier les qualités de ces jeux.
Et avec le feu naquit la diversité – de 1997 à 2009
Et ensuite, d’autres choses : Shadow Tower, Echo Night, Spriggan Lunar Verse, Kuri kuri mix… Sur youtube, ThorHighHeels évoque un bon nombre de ces jeux obscurs et révèle leurs charmes imparfaits dans une vidéo : FromSoftware's weird old games. Sa présentation d'Evergrace est assez intrigante, et si je pense me plonger un jour dans le troisième Echo Night c’est en partie lié à cette présentation.
Il est très difficile de résumer le parcours de fromsoft durant cette période. Cependant, leur capacité à expérimenter, à imaginer des formats narratifs originaux et à créer des identités fortes à leurs jeux est extrêmement perceptible. À noter que certains jeux de cette période sortent parfois de l’ombre : pour exemple, Metal Wolf Chaos (à l’origine une exclusivité japonaise de 2004 sur Xbox) a resurgi en 2019 suite aux efforts de Devolver. Et ce grâce à un tweet.
Un des moyens de se rendre compte de la variété de leur production est de regarder leurs vidéos promotionnelles. Par exemple, l'ending du FromSoftware Premium Disc Evolution 2002.
C’est durant cette longue et foisonnante période, après les premiers King's Field et Armored Core, mais avant la grande ère Miyazaki que sont sortis les deux Otogi.
C’est alors qu’ils sortirent des Ténèbres – de 2009 à nos jours
Cette ère Miyazaki est arrivée sans heurt ni trompette. L’année 2009 n’a pas marqué les esprits à l’époque. En effet, Demon's Souls a été très bien reçu, mais ce jeu n’est pas instantanément devenu le classique qu’il est aujourd’hui. Et si l’on fait l’effort de ne pas transformer l’histoire, la continuité est évidente.
Demon's Souls is the RPG more westernized version [sic] from the same minds that brought us Otogi.
GreenKnight127 – Forums de GameFAQs
Miyazaki et son équipe ont continué d’itérer sur leur formule : de sortie en sortie, de Demon's Souls en 2009 à Elden Ring en 2022, il est difficile de ne pas remarquer une sorte d’évolution naturelle. Et peu à peu, de petit nom du jeu vidéo, FromSoftware est devenu une référence incontournable.
Je ne peux pas résister à l’envie de partager une des bandes-annonces de 2011 pour Dark Souls premier du nom, dans laquelle L’ADN de petite entreprise proposant des jeux de niche au ton étrange est encore visible.
Ce succès croissant pourrait légitimer le discours expliquant les caractéristiques souvent mises en avant des jeux FromSoftware post-2009 par les choix d’un créateur unique et génial. Et pourtant, il n’y a pas beaucoup à creuser pour savoir ce qu’en disent les personnes les mieux placées pour en parler. En 2015, un senior managing director entré chez FromSoftware en 1997 disait :
Our game development stance hasn't changed in the past 20 years, and in the past, our games used to be treated like shitty games. […] What we believe as far as game development goes has not changed for the past 20 years.
Masanori Takeuchi – Interview pour Game Informer
Et pour preuve, Otogi existe.
Otogi: Myth of Demons
J’avais prévu à l’origine de faire paraître ce billet pour le 12 décembre de l’année dernière, date d’anniversaire (21 ans !) de la sortie du jeu au Japon. Mais j’ai préféré continuer d’y jouer, puis me lancer sur le second. Pour compenser ce retard, je tente de me faire pardonner avec un article plus étoffé.
Reprenons. En 2002, (2 ans avant le recrutement d’un certain Hidetaka Miyazaki) FromSoftware sort donc Otogi en exclusivité sur la Xbox première du nom. Sous la forme d’un hack-and-slash ou d’un beat-them-all, ce jeu d’action 3D dans une veine similaire à celle d’un Devil May Cry propose un monde intrigant, une narration évocatrice et une atmosphère unique.
FromSoftware, déjà FromSoftware
When the winds had passed, all that remained was a Court in ruins, and a city devoid of all life.
Extrait du prologue d'Otogi
Dans un style éminemment fromsoftwarien : nous y jouons un personnage, Raikoh, ni entièrement vivant, ni vraiment mort, à qui est donné l’ordre de libérer des démons un Japon médiéval ré-imaginé. Nous sommes en terrain connu, d’autant plus que le prologue nous indique que le monde est désormais en ruine après avoir vécu une longue prospérité.
Faire un parallèle entre l’introduction du premier niveau du jeu et le désormais célèbre “Oh, arise now, ye Tarnished. Ye dead, who yet live.” d'Elden Ring est difficilement évitable.
Pour vous donner une idée de l’atmosphère du jeu, entre chaque niveau est donnée la possibilité de naviguer dans des menus qui permettent entre autres d’entrer dans un shop pour y acheter armes et accessoires. La première fois qu’on y entre, on est accueilli ainsi :
J’ai commencé Otogi suite à un mélange de hasard et de curiosité. Et c’est après la première mission que le charme a opéré, précisément en tombant sur cet écran, puis en enchaînant avec le niveau suivant. Dès lors, j’étais happé par ce kaléidoscope vidéo-ludique.
Le jeu, dès ses premières secondes et jusqu’à sa fin, est construit autour de ce contraste étonnant : d’un côté un gameplay nerveux avec des graphismes spectaculaires (les environnements destructibles sont admirablement gérés par le jeu, et rendent compte en permanence de la violence de l’action) combinés à une difficulté presque sévère, et de l’autre une atmosphère éthérée à la limite de l’expérience méditative, rehaussée par des partis pris visuels et sonores audacieux.
Indeed, for a game that's filled with plenty of over-the-top action, Otogi has something remarkably subtle about it—almost a Zen-like quality, through the juxtaposition of the intense combat and the contemplative, philosophical speeches of the princess and some of Raikoh's enemies. Raikoh himself never says a word.
Greg Kasavin – Critique du jeu sur GameSpot
Les créations de FromSoftware ont souvent cette capacité, au travers de ce qui semble n’être qu’un jeu classique d’un genre éculé (Dark Souls n’est pas grand-chose de plus qu’un Zelda terne, au premier abord) de proposer une immersion introspective dans un univers plus complexe et profond qu’il n’y paraît. Ce n’est absolument pas pour rien que youtube regorge de vidéos de plusieurs heures créées par des gens ayant fini un ou plusieurs de leurs jeux, et souhaitant partager leur expérience personnelle et leur enthousiasme. Ou de vidéos tentant de percer les mystères de ces mondes inoubliables.
Deux exemples parmi tant d’autres : I Beat the Dark Souls Trilogy and All I Made Was This Lousy Video Essay par Noah Caldwell-Gervais et (en français) Dark Souls par Alt236.
Les deux Otogi ont tout pour provoquer les mêmes réactions. Mais ce sont des jeux ignorés, oubliés dans la ludothèque déjà méconnue des anciennes productions de FromSoftware. Je ne peux que remercier du fond du cœur Demon Apologist d’avoir produit une vidéo pour chacun des deux opus de la série, et d’avoir mis en avant certains des points les plus importants de la narration. Vous pouvez y jeter un œil si vous le souhaitez : Sympathy for the Devil | An Otogi: Myth of Demons Essay et Internalized Foxphobia | An Otogi 2: Immortal Warriors Essay. Petit avertissement néanmoins, ces essais dévoilent (spoilent, comme on dit) à peu près tout le contenu narratif des deux jeux. Ce sont peut-être les seules vidéos se penchant sérieusement sur cette licence.
Tant que l’on parle de vidéos, je vous invite à regarder une des bandes-annonces d'Otogi pour la sortie états-unienne. Sa bande son reprend un des thèmes principaux remixé d’une manière bien plus pêchue que tout ce que vous pourrez trouver dans le jeu. Elle est assez difficile à trouver en qualité correcte et je suis donc heureux d’en proposer une copie disponible à tous.
Plus haut, j’évoquais la difficulté du jeu. Elle est réelle, et le deuxième opus en rajoute une couche. C’est une difficulté caractérisée : elle est réfléchie et partie prenante de l’univers.
Par exemple, le personnage que l’on contrôle est en sursis permanent. Raikoh est en effet maintenu en vie uniquement par la volonté de la narratrice mystérieuse qui nous donne les objectifs de jeu. Dans chaque niveau, la réserve de mana du personnage diminue peu à peu ; lorsqu’elle est vide, ce sont les points de vie qui s’amenuisent jusqu’au game over. Alors que le compte à rebours devient critique, en surimpression sonore par-dessus le reste du jeu, les battements du cœur de Raikoh permettent au joueur de s’immerger dans la tension vécue par le personnage.
Dans ce jeu on connaît toujours les raisons de nos échecs, et c’est à chacun d’en tirer des conséquences, et de réussir en jouant différemment. Otogi essaie au maximum de ne pas être injuste, même si les contrôles d’un autre temps peuvent être source de frustration. Un peu comme pour les premiers Souls, d’une certaine façon.
Cette vision d’une difficulté diégétique assez forte (parler d’exigence serait peut-être plus juste) est généralement reconnue comme élément fondamental des jeux signés FromSoftware. Même si, comme à chaque fois, ça n’est pas toujours compris :
In fact, all that is good about this game is surely overshadowed by the immense difficulty, which offers no real positive emotion to the player, only frustration and panic. Arcade-like in appearance, this game is actually designed to lead to pure frustration, because it requires the player not only inhuman timing but also out-of-bounds patience. […] There is no selectable difficulty level, and given the extreme difficulty I would recommend this game only to those who have the possibility to use a well-functioning trainer or cheat system, because all in all the graphics and sound deserve… but from the gameplay point of view this game is not just pure boredom, but pure frustration, pure panic, pure anger.
mulambo – Critique du jeu sur GameFaqs
FromSoftware aime ses univers tiraillés, et cherche souvent à faire prendre conscience au joueur de la complexité des actes individuels ou collectifs dans un tel paradigme. Otogi n’y échappe pas : le Japon imaginaire qui y est présenté est dévasté et sert aussi de terrain pour des guerres plus ou moins ouvertes entre différentes factions aux intérêts contradictoires. Juger de la moralité des volontés de chaque faction (y compris celle que l’on représente) est complexe et parfois sans réponse absolue. Cet aspect est bien moins présent que dans un Armored Core ou dans Elden Ring, mais une sorte d’écologie des puissances est ébauchée.
D’autres éléments encore pourraient être mis sur la table pour démontrer la continuité entre l’avant et l’après Miyazaki. Otogi 2 par exemple, itère sur le premier opus de la même façon que les suites de Dark Souls pour l’original : en enlevant une part de mystère pour la remplacer par plus de finesse, plus de contenu, et plus de difficulté. Je suis conscient que le cas de Dark Souls 2 est discutable, mais les difficultés de développement n’enlèvent rien à la volonté de l’équipe.
Ce qui fait battre mon cœur
Après avoir tenté de montrer la continuité historique des productions de FromSoftware, je peux me pencher sur d’autres aspects qui me semblent particulièrement réussis et originaux.
En dehors même de la jouabilité et de la narration, la présentation du jeu possède un charme et une élégance rares. Des superpositions de motifs mouvants, colorés, et contrastés forment la majorité des menus. Les descriptions des niveaux, des ennemis qui y sont présents, et des objets divers et variés semblent extraits d’œuvres médiévales (ça n’est pas pour rien, j’y reviendrai un peu plus tard) et s’intègrent admirablement dans des arrière-plans d’une esthétique entre new-age acidulé et vaporwave avant l’heure.
Le son du jeu est extraordinaire. Le doublage anglais est imparfait : le boss de fin à un côté ridicule, certains effets sonores sont un peu trop mis en avant, etc. J’ose à peine évoquer l’un des premiers niveaux dans lequel nous est hurlé en boucle un “None shall pass!“ insupportable. Mais dans l’ensemble, c’est un travail hors du commun. Et je n’ai jamais entendu une bande son comparable à celle de ce jeu.
Elle est l’œuvre de Yūki Ichiki, qui ira après cela travailler dans une des équipes les plus renommées quant à leur capacité à intégrer musique et jeu dans un ensemble cohérent : Q Entertainment. Et c’est avec lui que sortiront des perles comme Lumines Electronic Symphony ou Child of Eden.
Son arrivée au sein de FromSoftware est assez amusante :
Back then, I had a hardcore gamer friend, and while she was surfing through websites of her favorite game companies, she found that one company was seeking a sound creator to join their sound section. She recorded my music from a cassette tape to MD and sent it out to this company. This company, known as From Software, liked my work, showed interest in the process of my creation, and hired me: A guy who did not even know how to turn off the PC decided to take this challenge and get into the world of sound design.
Yūki Ichiki – Interview pour GameSpot
Plus subjectivement, un autre élément que j’apprécie dans ce jeu est sa concentration. Le jeu ne traîne pas en longueur, tout à un sens et chaque élément contribue réellement à l’ensemble. Et même si certains niveaux sont réutilisés d’une manière qui transpire le manque de moyens, c’est exécuté avec une certaine élégance qui fonctionne assez bien à mon goût. Même le niveau maximal du personnage est bloqué assez rapidement, et un Lvl Max satisfaisant s’affiche alors sur les menus. Il suffit d’une vingtaine d’heures pour finir le jeu, et cette expérience resserrée sur elle-même est rafraîchissante comparée aux nombreux jeux qui tendent à ajouter du contenu optionnel à la pelle.
Enfin, Otogi restera dans ma mémoire comme une porte d’entrée vers un monde qui le dépasse : l'Otogi-zōshi.
Otogi-zōshi
C’est après avoir terminé le jeu et afin de compenser le manque que j’ai cherché à en savoir plus. D’abord en écumant toutes les ressources sur le jeu lui-même. Puis en me renseignant sur ses origines.
L’otogi-zōshi (御伽草子, otogi-zōshi) fait référence à un groupe d’approximativement 350 récits japonais écrits principalement durant l’époque de Muromachi (1392-1573) et du genre littéraire qui en découle. Ces courtes histoires illustrées dont les auteurs restent inconnus forment ensemble l’un des genres littéraires les plus représentatifs du Japon médiéval.
Comme son nom l’indique, Otogi est inspiré par ce corpus. Il s’agit de contes surnaturels qui invoquent monstres, mondes merveilleux, récits religieux, ou encore anecdotes historiques. Leur ton est extrêmement varié, allant de la fresque guerrière à la comédie, en passant par des leçons de morale.
Je parlais de l’interface du jeu, dans laquelle les présentations d’objets et de monstres paraissaient dans un style ancien. Elles ont été en effet réalisées en hommage au style des parchemins historiques de l’otogi-zōshi. À tel point que l'artbook officiel (excessivement rare à mon grand désespoir) en reprend même le format. Comparez-le avec ceci, par exemple.
Le personnage principal du jeu, Raikoh, est une ré-invention d’un personnage présent dans plusieurs de ces contes, lui-même une ré-imagination d’un personnage historique : Minamoto no Yorimitsu. De la même façon, l’antagoniste, le boss de fin est un personnage historique ayant eu une seconde vie sous la forme de mythes et légendes dans l'otogi-zōshi.
Like the original Otogi, we tried to maintain the underlying Japanese flavor—an epic fantasy based on ancient Japanese folklore and mysticism. Rather than reproducing the actual Japanese architecture or style, we decided to design the environments based on what was in our collective imagination. We recognize that this game is fantasy-based, which allows us more creative and visual freedom.
Masanori Takeuchi – interview pour GameSpot
J’aurais pu me contenter de ces bribes éparses, mais au point ou j’en étais, je me devais de creuser plus profondément. Mon premier réflexe a été de chercher une édition plus ou moins complète du corpus en question, comme je pourrais le faire pour la Matière de France ou la Matière de Bretagne. Raté : ces textes sont éparpillés, et peu traduits.
Je me suis rabattu sur deux sources :
- Le travail admirable de Hasegawa Takejirō, qui a publié en japonais, mais aussi dans un paquet d’autres langues dont l’anglais et le français des petits livres nommés Japanese Fairy Tale Series
- Des sources plus sérieuses, principalement Monsters, Animals, and Other Worlds et Traditional Japanese Literature – An Anthology, Beginnings to 1600, deux livres parus chez Columbia University Press.
Pour la première source, les parutions en question sont dans le domaine public, et on en trouve facilement des scans un peu partout : ici et là par exemple. Et tant mieux, car ils coûtent une fortune.
Il est assez amusant de lire les aventures des personnages des deux Otogi dans ces charmants petits livres illustrés. On y retrouve Raikoh, Seimei, Tsuna, Kintarō, etc.
La deuxième source, ce sont d’épais livres bien sérieux. Épais, à tel point que l'édition abrégée de l’anthologie de la littérature traditionnelle japonaise fait tout de même 600 pages.
On y trouve nombre de textes divers et variés, et certains d’entre eux sont des traductions fidèles et sérieuses des plus anciens otogi-zōshi que l’on peut trouver dans des musées. Dans Monsters, Animals, and Other Worlds, on trouve notamment une traduction magnifique du conte Shuten-dōji par Keller Kimbrough. Je ne peux qu’en conseiller la lecture.
J’ai cherché à comprendre à quel point les légendes concernant Raikoh et ses 4 comparses, Seimei ou encore Masakado étaient encore vivantes aujourd’hui. Et surtout, à quel point leur relecture par FromSoftware diverge de leur utilisation moderne. Je n’ai pas de réponse à apporter à mes propres questions, mais ces contes sont toujours présents dans la culture populaire. Pour preuve, le style de théatre Kagura, moins figé que le Nô ou le Kabuki, continue de faire vivre ces scènes mythiques.
C’est là que je me suis perdu : mon sujet n’était plus Otogi, mais le Kagura pour le Kagura. Exposer plus mon parcours à partir de là deviendrait hors-sujet.
Je ne saurais pas dire à quel point le public japonais est familier avec ces contes, mais je suis certain que l’immense majorité des occidentaux n’en a jamais entendu parler. Et pourtant, ils soulignent les choix de FromSoftware d’une manière intéressante.
Dans Otogi, l’ambiguïté de la moralité des actions de chacune des factions que je décrivais plus tôt coïncide étonnement avec les légendes en question. Et je ne serais pas surpris d’apprendre que FromSoftware a spécifiquement choisi ce corpus pour ces raisons.
Raikō and his retainers are the putative heroes, but they behave in some seemingly less-than-heroic ways, complicating readers’ sympathies for Shuten Dōji and the men who defeat him. They may win in the end, but as characters they lack Shuten Dōji’s power and charisma—his ability to capture the medieval imagination—and it is surely no accident that their story, like the older Tale of the Dirt Spider, came to be named after the monster they slay rather than themselves.
Conclusion
J’ai principalement parlé du premier Otogi, mais le deuxième m’est tout aussi cher. Simplement, parler du premier est suffisant pour expliquer l’attrait de la licence, et il est difficile de présenter le second sans spoil de l’original. Et puis de toute manière, si vous souhaitez découvrir la série, c’est par celui-là qu’il vous faudra commencer.
Quoi qu’il en soit, la rencontre avec ces deux jeux m’aura marqué. Je suis étonné d’avancer qu’ils sont peut-être devenus mes jeux FromSoftware préférés. Il ne s’agit pas d’une sorte d’hallucination de ma part, je n’ai pas imaginé des qualités qu’ils n’ont pas.
Otogi is a smash hit – pun intended. It might not represent that in the sales charts but does so where it really matters, in the gameplay. It's so dark, atmospheric and plays so smoothly that you'll just get sucked into the ominous world and battle your way back to reality, even when you don't really want to.
Joseph Jackson – Critique du jeu sur Kiziko
Ces deux jeux ont été très bien reçus à leur sortie, comme l’indiquent à la fois les critiques de l’époque, mais aussi les discussions qu’ils ont provoqué. Aucun des deux jeux ne s’est beaucoup vendu, et donc ces traces sont rares. Le forum anglophone The Next Level héberge un sujet ayant tout de même donné suite à plus de 30 pages de discussions, qui montre des retours dans l’ensemble élogieux.
Colin Newton l'exprime admirablement dans son blog Idols and Realities (qui contient d’ailleurs des articles très chouettes concernant Serial Experiments Lain) :
In fact, “Otogi” never seems to get on any lists. Every now and then there’s a retro review that hails it as one of the original Xbox’s most underrated exclusive titles, but even that’s not quite right. Contemporary reviews of the game were positive, and sales were just strong enough to warrant sequel. Nossir, “Otogi” is not underrated. It is a classic in search of a cult.
Colin Newton – Idols and Realities
Et si jamais tout ceci ne vous convainc pas, et que vous préférez un argument d’autorité, sachez donc qu’un certain Hidetaka Miyazaki apprécie le jeu :
Miyazaki also has fond memories of Otogi: Myth of Demons, a fast-and-furious hack-and-slash affair that FromSoftware released in 2002 (2003 in the UK and US), again only for the Xbox.
Hidetaka Miyazaki – Vice
Je vais donc m’arrêter là, et peut-être relancer une partie. Ou regarder plus de théâtre japonais.
Si vous avez survécu à cette longue lecture, vous êtes récompensés par une chose d’aussi exotique qu’amusante. La campagne promotionnelle d'Otogi a été marquée au Japon par une sorte de crossover improbable avec la musique de Britney Spears via son label Jive Records.
Il existe aussi 2 vidéos promotionnelles qui, à défaut de rendre justice à l’ambiance du jeu sont fun. La majeure partie des copies en ligne sont très dégradées. Heureusement, archive.org existe : à voir par ici et par là.
Je crains d’être incapable d’imaginer les raisons qui ont amené cette campagne publicitaire à exister. Et c’est peut-être aussi bien.
Source des illustrations :
- « Rouleau illustré de Tsuchigumo » (XIVᵉ siècle)
- « King's Field IV » (2001)
- « King's Field III Desktop Calendar » (1997)
- « Armored Core Postcards » (1997)
- « From Software Presents » (1997)
- « O・TO・GI street ad » (2002)
- « Image de présentation d’Otogi » (2002)
- « Captures d’écrans d'Otogi » (2002)
- « YOU DIED ! par javryk » (2023)
- « Armored Core Corporation Diagram Translation par ShatteredSkiesAC » (2002)
- « Yorimitsu et ses hommes combattant le bandit Hakamadare, qui est aidé par un serpent géant » (1858)
- « Les ogres d’Oyeyama » (1900)
- « Le bras de l’ogre » (1900)
- « Scene from the 17th century edition of Ōeyama Emaki » (XVIIᵉ siècle)
- « Store display » (2002)