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from dece

J'aime bien boire du vin, mais je n'aimais pas devoir acheter du vin car je ne comprenais pas grand chose et ça m'empêchait de choisir des bonnes bouteilles, me projetant perpétuellement dans les bras perfides du merlot Roche Mazet. Ma chère et tendre Emma m'a judicieusement offert une journée de formation, la WSET1, qui donne les bases pour comprendre un peu mieux ce qui se passe dans son verre, et cet article vient tenter de résumer ce que j'y ai appris. 🍷🤔

Je vous épargne gentiment les longues énumérations de noms de domaines, de cépages, avec des caractéristiques inertes, parce que ça n'a pas d'intérêt ici.

Les régions et les cépages

Les principales régions viticoles en France sont sur cette carte, qui est la moins illisible que j'ai trouvé mais forcément incomplète et simpliste :

Carte des régions viticoles

On y fait des vins différents mais pour faire simple on peut dire que tout ce qui est au dessus de Lyon est un climat frais, et en dessous c'est un climat chaud.

Ensuite on a les différents cépages, qui est le terme œnologique pour désigner la variété botanique de la vigne, Vitis vinifera. Chaque région a des cépages spécifiquement adaptés à son climat, à son sol. Par exemple dans le Bordelais on utilise beaucoup de cabernet sauvignon, alors que dans le Chablis (dans l'Yonne) on utilise surtout du chardonnay.

Il y a des cépages blancs et des cépages rouges. Ces derniers ont une pellicule chargés en tanins, ce qui donne aux grains leur couleur foncée et au vin rouge son astringence.

La vinification

Le grain se charge en sucre et en eau sous l'influence de la chaleur et du Soleil, et perd en même temps en acidité. Ce phénomène est plus important dans les climats chaud.

On a ensuite plusieurs opérations à réaliser, pas toutes et pas dans le même ordre selon si on fait du vin blanc ou du vin rouge !

Le foulage est le fait de broyer grossièrement des grains récoltés, ce qu'on faisait autrefois aux pieds. 💃🍇

La fermentation est l'action des levures, souvent ajoutées, pour consommer les sucres et produire de l'alcool et du dioxyde de carbone (c'est quoi le bilan carbone du vin tiens ?). Ça peut durer de quelques jours à quelques mois. 🫧

Le soutirage est l'extraction du vin depuis le moût. On a alors le vin de goutte, liquide, et le vin de presse, solide. 🌊

Le pressurage consiste à presser le moût (pour le vin blanc) ou les pellicules (pour le vin rouge). ⚙️

L'élevage est la mise au repos du vin pendant quelques mois à quelques années, dans des cuves en inox ou dans des fûts de chêne, ou si on veut tricher un peu dans des cuves en inox où l'on a mis des morceaux de chêne, parce que l'intérêt est quand même de donner un goût boisé au vin. ⏱️

Enfin, il y a la mise en bouteille. 🍾

Vins blancs

  1. Foulage
  2. Pressurage des grains pour récupérer tout le jus.
  3. Fermentation
  4. Élevage
  5. Mise en bouteille

Vins rouges

  1. Foulage
  2. Fermentation du vin avec toute la matière solide (pellicules, pépins)
  3. Soutirage
  4. Pressurage du vin de presse pour extraire tout le vin restant
  5. Élevage
  6. Mise en bouteille

Vins rosés

Le vin rosé est fait comme le vin rouge, sauf que lors de la fermentation on ne laisse que très peu de temps, quelques heures seulement, le jus avec la matière solide, ce qui l'empêche de prendre trop de tanins et de trop se colorer. On soutire donc très tôt, et la fermentation continue avec le liquide uniquement ensuite.

On voit alors qu'on peut faire du vin blanc à partir de cépages rouges : il suffit de ne pas laisser la matière solide pendant la fermentation. L'inverse, faire du vin rouge avec des cépages blancs, est impossible.

Caractéristiques de vins

Types

On parle de vins tranquilles pour la plupart d'entre eux. On laisse la fermentation se terminer d'elle-même, et le dioxyde de carbone s'échapper. Ils portent les noms de leur région de production ou de leur cépage.

Les vins effervescents sont mousseux/pétillants comme le champagne ou le prosecco. On essaye soit de conserver le dioxyde de carbone produit par les levures, ou alors on triche et on le rajoute après.

Les vins fortifiés sont ceux où il y a eu ajout d'alcool, comme le porto. Cela permet de stopper la fermentation en tuant les levures et de conserver du sucre dans le vin, ce qui donne d'excellents vins apéritifs.

Douceur

On a un spectre entre d'un côté les vins dits sec, et de l'autre ceux dits doux ou rond. Les vins secs sont peu sucrés car les sucres ont été entièrement consommé par les levures. Les vins de douceur moyenne ont encore un peu de sucre car les levures n'ont pas tout consommé, ou bien du jus de raison non fermenté a été ajouté. Les vins doux ont typiquement beaucoup de sucre initialement, ou bien c'est du vin fortifié.

Acidité

L'acidité d'un vin fait saliver. Elle permet également de tirer en longueur, dans le temps, l'effet des saveurs en bouche. Vins acides : chablis, riesling, sauvignon blanc, etc. L'acidité ne sent rien, elle se goûte.

Tanins

Les tannins sont des particules astringentes, qui provoquent comme une sécheresse en bouche, donc c'est plus une sensation qu'une saveur. Vins tanniques : les bordeaux, le chianti, etc. Les tanins ne se sentent pas.

Alcool

On a normalement entre 11.5° et 15° d'alcool dans un vin. L'alcool remplit surtout un rôle social. L'alcool se sent.

Corps

On dit d'un vin qu'il a du corps selon… euh… qu'il prend de la place dans la bouche ? Contrairement à un vin plus délicat, plus subtil ? Ça me semble pas très clair ni très utile comme critère.

Balance acidité, tanins, alcool et sucre

Une façon de voir l'équilibre des goûts dans le vin est de voir d'un côté l'alcool et le sucre, et de l'autre l'acidité et les tanins. Un bon vin parviendra à trouver son propre équilibre !

Odeurs et saveurs

À chaque cépage, territoire, vin, son ensemble de saveur ! L'exercice de décrire les saveurs d'un vin paraît parfois trop sophistiqué mais si on se laisse prendre au jeu d'écouter au maximum ses sens et d'attraper les mots dès qu'ils nous passent en tête, on se retrouve vite à dire des choses plus complexes qu'on ne l'aurait imaginer : mûre, brioche, pomme verte, bouquets de fleurs, tarte tatin, saumon fumé, etc.

Il y a des saveurs qui reviennent souvent comme le citron, la cerise, la vanille, le bois fumé, mais plutôt que de retenir quel vin goûte typiquement quelle saveur, je trouve ça plus intéressant d'essayer à chaque fois de trouver ce à quoi ça nous fait penser.

Quand on découvre un vin, on commence par le sentir. On peut le sentir directement après l'avoir versé, puis le faire tourner dans son verre et sentir de nouveau, des fois l'odeur est légèrement différente, plus forte, plus riche.

Accords mets et vins

Bon j'ai pas retenu grand chose, mais c'est intéressant de voir que nos papilles sont facilement occupées par un aspect du plat qu'on mange au point d'annuler ces mêmes aspects dans le vin qu'on boit. Par exemple, manger une entrée forte en acidité (pamplemousse, pomme) atténue fortement l'acidité d'un vin blanc sec comme un chablis, ce qui lui permet de laisser parler ses touches fruitées. Autre exemple, un plat bien mijoté comme du bœuf bourguignon et salé juste ce qu'il faut va réduire les tanins d'un vin rouge qui paraîtrait pourtant fort astringent s'il était bu seul.

Ceci dit, un bon plat et une bonne bouteille, ça s'accorde en général bien sans trop faire attention pour la majorité des gens. Mais bon un gâteau au chocolat avec un porto là, pfouah…

stock photo de vin

Ce sur quoi je passe

Comment ouvrir une bouteille, la liste des cépages et régions internationales de la WSET1, les odeurs et saveurs typiques de tels cépages et telles régions.


Wouaaah merci dece pour ces notes trop courtes pour être utiles à quiconque 🤩

OK alors on se calme tout de suite ! J'aimerais tenter une alternative à ma technique de prise de notes actuelle qui suit à peu près la méthode PARA en couplant quelque chose qui s'approche du Memex de Cory Doctorow pour certains contenus, l'idée principale étant que la mise à disposition au public implique une rigueur dans la prise de note, la compréhension du sujet et un partage d'information. Mon wiki contient moult fiches qui auraient gagnées à être des contenus publiés, marqués dans le temps ou progressivement mis à jour. Cet article est donc un premier test dans cette direction, plutôt que de croupir hors-ligne ! Projet Xanadu me voici !!

Côté vin je vais voir si c'est intéressant de tenir une liste des bouteilles que j'ai pu boire avec mes impressions. « Hmm… ce Côtes du Rhône Franprix a un nez surprenant… » ou encore « Aaah, je sens que je suis bourré ».

 
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from dece

Par manque de temps j'ai écrit ma liste de lectures, habituellement destinée à ma capsule Gemini, en français, et ça m'embête de poster du contenu non traduit là-bas, et d'un autre côté je suis content d'alimenter cette instance WriteFreely où Laërte et Mystr (en privé) postent déjà du contenu in·cro·yable, donc je pose ça ici pour l'instant.

Baptiste Morizot : Manières d'être vivant

  • Introduction : la crise écologique comme crise de la sensibilité
  • Une saison chez les vivants
  • Les promesses d'une éponge
  • Cohabiter avec ses fauves
  • Passer de l'autre côté de la nuit
  • Épilogue : les égards ajustés (par Alain Damasio)

Le premier texte mêle une histoire de pistage de loups dans le Vercors avec un essai sur les communs de l'être humain et de ce qu'on appelle la nature, ou les animaux. Un passage notamment traite du fait qu'appeler les autres animaux tel quel, avec ce terme “autre” permet de souligner notre appartenance à un même groupe.

Le second texte traite plus d'évolution. Il passe sur un débat intéressant entre l'évolution qui serait d'une part un pur fruit du hasard, et de l'autre une mécanique qui tendrait forcément vers l'homme, jusqu'à une perfection qu'on ne connaît pas encore ; il présente la théorie plus prometteuse et a priori respectée aujourd'hui parmi les scientifiques que l'évolution par certains caractères se fait parce qu'ils sont simplement avantageux quoi qu'il en soit : les yeux, la photosynthèse, une forme d'intelligence, etc, et on peut le démontrer notamment par le fait que ces caractères ont été développés en parallèle par plusieurs organismes, et non pas par un individu unique quelque part dans l'évolution des espèces, e.g. la photosynthèse qui aurait été développée plus de cent fois indépendamment.

Le troisième texte est un vaste appel à lire Spinoza.

Le quatrième texte raconte l'expérience de l'auteur comme observateur au sein d'un projet de supervision des relations entre les éleveurs, leur bétail, leurs chiens, les loups et les chasseurs. Leurs interactions sont d'une complexité proprement passionnante et permettent à l'auteur de tracer les lignes de la pièce manquante de nos sociétés, la diplomatie entre les espèces.

L'épilogue est du pur Damasio.

C'est une lecture très agréable et j'y ai appris pas mal de choses, mais je me posais quelques questions d'efficicaté politique—surtout après la lecture de l'article de Joseph Confavreux « Le “vivant” noie-t-il le poisson politique ? »—que je voulais poser quelque part sur papier et j'ai oublié.

Frédéric Beigbeder : 99 francs

Une histoire de publicitaire qui pète les plombs. Le livre est écrit comme un roman dont le côté autobiographique est volontairement à peine dissimulé : le personnage écrit un livre pour se faire virer du milieu de la pub, car c'est ce que l'auteur faisait en écrivant ce livre ; méta !

Il y a des bonnes idées mais c'est vraiment une narration de mec de droite qui pense surpasser sa condition de mec de droite ; il y a une scène où les personnages vont tabasser une retraitée de Floride dont les thunes sont probablement dans les larges fonds de pension américains, avec une rhétorique de gauchiste maladroite. L'auteur est étrangement fasciné par l'omnipotence de la publicité et de ce qui serait son pouvoir absolu sur les gens, jusqu'à ce que se confonde la critique et une admiration à peine voilée. C'est aussi très vulgaire sans justification.

Virginie Despentes : King Kong théorie

Virginie Despentes parle de sa conception du féminisme, raconte sa jeunesse, son intimité, son viol, sa prostitution. Un article de Camille Paglia l'encourage à considérer son viol comme étant une conséquence du risque qu'il y a à sortir comme femme libre, et non comme une honte à garder sous silence.

L'essai constitue une porte d'entrée spéciale sur le féminisme et je le recommande à quiconque souhaitant de nouvelles perspectives sur le sujet. Ça m'a beaucoup plu.

Virginie Despentes : Baise-moi

Nadine et Manu se retrouvent simultanément dépourvues de quoi que ce soit à perdre et partent en cavale pour accomplir personne ne sait trop quoi ; expérimenter une jouissance crue et sans compromis sur les routes de France, dont les seuls constantes seront l'alcool, le sexe et le meurtre.

C'est le premier roman de Despentes, dont est issu un film sorti en 2000 qui a été censuré en France. Si on connaît les films God Bless America ou The Devil's Rejects, c'est assez ouf de constater à quel point ce roman possédait déjà tout. C'est plus dur et froid que d'autres romans plus connus de Despentes comme Vernon Subutex, il y a beaucoup de scènes de violence, une scène de viol, plusieurs meurtres notamment envers des personnages qu'on n'est pas habitué à voir tués.

C'est aisément mon roman trash préféré (OK je connais que lui) mais je ne le conseille qu'aux cœurs bien accrochés. La fin est stylée ! 💯

John Fante : Demande à la poussière

Les aventures de Bandini, aspirant écrivain avec un goût immodéré pour les femmes, l'alcool et le scandale, il me fait un peu penser à un copain mais je dirais pas qui. On suit sa vie à Los Angeles, son histoire d'amour avec Camilla la serveuse d'un bar, leurs disputes et leur incapacité à communiquer leurs sentiments. Le désert de Californie est toujours là en train de les menacer de les engloutir sous sa poussière. C'est un roman poignant, à la fois drôle et amer. Ce style crypto-autobiographique où l'on fait comme si on n'écrivait pas sa propre histoire me plaît beaucoup et j'espère avec l'occasion de lire d'autres livres de Fante.

Charles Bukowski : Le postier

L'histoire d'un postier et de ses conditions de travail. Quand les personnages crient, il écrit en majuscule et je trouve ça très appréciable. Bukowski est un peu trop obsédé par le cul, des fois c'est un peu gênant, mais ça a son sens comme échappatoire à l'enfer du taf. Il y a une bonne dose d'humour amer, notamment la scène de cul avec les pots de géraniums qui tombent mais j'en dis pas plus. Attention tout de même des fois ça va trop loin et il y a une scène de viol tout à fait assumée que j'ai trouvé dure à lire.

Mircea Eliade : Le sacré et le profane

Petite introduction à l'étude phénoménologique et historique des faits religieux. On y apprend notamment comment les rituels comme le ramadan ou les rituels saisonnier servent à reproduire un temps originel, sacré, pour ramener à l'existence profane, c'est à dire hors des phénomènes divins, une présence sacrée. On retrouve ce besoin d'amener le sacré également dans les manières d'établir un nouveau village (feu central), dans l'architecture et l'aménagement des maisons.

En tant qu'athée, ce livre m'a permis de mieux saisir comment les personnes religieuses perçoivent l'univers autour d'eux, leur « cosmos », et d'y trouver des similarités avec mes propres habitudes et approches du monde. Il est sans doute utile de préciser que les travaux d'Eliade, même s'ils sont reconnus, sont toujours sujets à de vives critiques donc tout est à prendre avec des pincettes, et en plus c'était sans doute un gros facho. Une critique revenant souvent est que les thèses présentées sont très réductrices, et qu'il ne suffit pas de répéter qu'il ne s'agit que d'une introduction à un vaste champ d'études pour expliquer comment des cultures aux histoires si variées soient si facilement assimilées.

Chapitres :

  1. L'espace sacré et la sacralisation du Monde
  2. Le Temps sacré et les mythes
  3. La sacralité de la Nature et la religion cosmique
  4. Existence humaine et vie sanctifiée

Andrzej Sapkowski : Le Sorceleur (livre 1)

Un recueil de nouvelles fantastiques sur les aventures de Geralt de Riv, un sorceleur. C'est ce personnage et ses histoires qui donna lieu à la série de jeux vidéo The Witcher. Le monde est habité par tous les éléments du corpus habituel des mondes de fantasy occidentaux, avec l'ajout de monstres spécifiques à la culture slave, notamment des kikomoras, des bruxæ, etc. Les histoires sont plutôt sympas à suivre, avec plein de rebondissements, les personnages s'étoffent petit à petit et le monde se dévoile (sans trop de surprises). Le style est OK, ma plus grosse critique serait qu'on sent un regard un peu lubrique de l'auteur sur ses personnages féminins, avec des scènes érotiques servant bien peu le récit.

William Faulkner : Le bruit et la fureur

Un récit chaotique d'une famille en totale déliquescence. On suit le monologue interne de quatre personnages différents pendant quatre parties du livre, avec chacun une façon différente de brouiller le récit, par des sauts dans le temps constants, genre tous les paragraphes, ou d'absence de ponctuation, ou en étant tout simplement un personnage inapte à réfléchir normalement.

J'ai eu beaucoup de mal au début et au milieu et à la fin ça allait mieux mais je suis pas sûr de pourquoi je me suis infligé tout ça. Pour l'expérience stylistique de la perte de repères ?

Bernard Friot : Vaincre Macron

Un exposé de ses thèses sur la question des retraites, la principale étant que la gestion des caisses de retraite, amenée en 1946 par Ambroise Croizat et le CNR au sein du projet global de Sécurité Sociale, par les travailleurs eux-mêmes constitue un « déjà-là communiste » sur lequel il faut capitaliser (🤣) pour lutter vers un salaire à vie et ne rien lâcher de ce que nous possédons en sécurité social.

Bon, moi je suis déjà assez conquis à ses propositions, mais j'ai trouvé très dommage qu'il attende la toute fin du livre pour répondre à la question, qui ne manque pourtant jamais de tomber, du financement d'un tel changement de paradigme dans le partage des ressources par l'évidence même que serait l'appropriation des moyens de production. Mais oui c'est vrai, qu'est-ce qu'on attend après tout ? À ce stade on serait pas mieux d'abolir l'argent du coup ? La valeur ? À part ça c'est assez fastidieux à lire, il faut vraiment vouloir en apprendre un rayon sur les nuances entre les différents systèmes de caisses de retraite—ce qui n'est pas mon cas, d'ailleurs j'ai à peu près tout oublié—ce qui ne facilite pas la diffusion des idées de Friot que je juge par ailleurs comme tout à fait pertinentes et révolutionnaires.

Joseph Conrad : Typhon

C'est un capitaine, à mon avis sur le spectre autistique, qui dirige un bateau au sein d'une épique tempête en mer. C'est INCROYABLE ! Et très court, franchement foncez ! Et après allez jouer à Return of the Obra Dinn ! 🌊⛵

David Graeber & David Wengrow : Au commencement était…

Un colossal essai entre Graeber l'anthropologue et Wengrow l'archéologue, impossible à résumer, mais ré-articulant de mille manières la question du commencement dans l'humanité : qui étaient ces ancêtres chasseurs-cueilleurs, quels sont les stades d'évolution d'une société, l'état-nation est-il inexorable, après tout le capitaliste n'est-il pas le parfait aboutiss-OH du calme là ! La réponse est souvent à rebours de nos conceptions, et elle est copieusement argumentée et ponctuées d'anecdotes qui font tenir sur un voyage dans les humanités qui peut vite faire tourner la tête et se sentir perdu. Il n'y avait à peu près pas de tribus primitives de chasseurs-cueilleurs nomades qui se seraient sédentarisés, les sociétés n'ont presque jamais évolué de façon réellement similaire, l'état-nation ne saurait être qu'une parenthèse de l'histoire. Bon ça c'est moi qui projette.

Honnêtement, je me suis totalement senti perdu. Mais ça n'est pas bien important car les thèses avancées sont souvent présentées plusieurs fois, pour leur permettre de se corroborer et d'ancrer ce qui est je pense le plus important pour le lecteur profane, c'est à dire l'idée qu'il n'y a pas, dans l'histoire de l'humanité, un commencement mais une profusion d'histoires dont nous n'avons que rarement idée de la richesse et de la diversité, que voir notre passé à l'aune du Capitalocène n'est souvent pertinent que pour les capitalistes, et en ça c'est un ouvrage passionnant !

John Steinbeck : La perle

Un pêcheur d'une famille très modeste tombe sur un perle incroyable, mais sa quête pour transformer la providence en prospérité pour sa femme et son fils ne sera pas sans embûches. Bon j'ai vraiment pas trop aimé, alors que j'ai adoré Des souris et des hommes, c'est très… simple, creux et lourd à la fois ?


J'ai malheureusement abandonné par manque de temps, bien que c'étaient d'excellentes lectures :

  • Rosemary Sayigh : The Palestinians: From Peasants to Revolutionaries
  • Prosper-Olivier Lissagaray : Histoire de la commune de 1871

#lectures

 
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from Laërte

En introduction du précédent billet, j’évoquais le calme qui a régné sur ce blog durant les derniers mois de l’année passée. Une explication supplémentaire à ce silence peut être donnée ainsi : j’ai joué à Otogi: Myth of Demons.

Rouleau illustré de Tsuchigumo

Simplement dire que j’ai joué à Otogi résume mal la force avec laquelle j’ai été frappé par l’expérience. Mais avant de tenter tant bien que mal d’expliquer ce qu’est ce jeu et d’essayer de vous convaincre de sa grandeur, un peu de contexte semble nécessaire.

Un peu d’histoire

L’histoire de FromSoftware (qu’on abrège volontiers en un fromsoft amical) est hélas bien souvent présentée ainsi : FromSoftware a une réputation bien assise dans le monde du jeu vidéo. Après des années (décennies !) de stagnation et de productions obscures, fromsoft a émergé de l’ombre en 2009.

Depuis Demon's Souls, Hidetaka Miyazaki propose et peaufine à chaque nouvelle sortie une formule de jeu originale et marquante. De jeu en jeu, de nouveaux publics ont été conquis, et cette vision personnelle de ce que peut être un jeu vidéo est devenu une source d’inspiration et d’admiration pour de nombreux joueurs et créateurs.

capture de King's Field IV

Cette vision de FromSoftware est un cliché : il est difficile de ne pas lire ou entendre une variation sur ce thème dès qu’un fan des souls prend la parole. C’est une narration biaisée, et en grande partie fausse.

Ce discours dominant n’est heureusement pas le seul que l’on peut trouver. De nombreuses voix défendent leurs anciennes licences, comme Armored Core ou King's Field.

Mais ce qui est souvent invisible, c’est que FromSoftware était déjà le FromSoftware d’aujourd’hui avant Miyazaki.

L’âge des anciens – de 1994 à 1997

Le site officiel de l’entreprise offre une plongée dans le passé brumeux de FromSoftware. Au fur et à mesure de la descente, des noms de jeux méconnus font leur apparition, accompagnés de repères temporels tels que les sorties de consoles ou les prix reçus.

King's Field III Desktop Calendar

Leurs jeux les plus anciens sont les premiers King's Field. Étranges et prenants, même si austères et difficiles d’accès, je conseille d’au moins en essayer un. On y trouve déjà des éléments qui sont encore aujourd’hui parties intégrantes de la patte fromsoft : un level design tortueux et audacieux, de la dark fantasy désespérée, une immersion dans un monde au premier abord incompréhensible, etc.

On trouve aussi dès le début de leur parcours vidéo-ludique les premiers Armored Core, peut-être historiquement leur licence phare.

Armored Core Postcard

Cette série, je ne la connais que peu : des rapides lectures d’articles, une poignée d’images glanées de-ci de-là, quelques témoignages d’amis m’ayant partagé leurs souvenirs et une heure ou deux passées à essayer un des opus sont loin de suffire pour apprécier les qualités de ces jeux.

Et avec le feu naquit la diversité – de 1997 à 2009

Et ensuite, d’autres choses : Shadow Tower, Echo Night, Spriggan Lunar Verse, Kuri kuri mix… Sur youtube, ThorHighHeels évoque un bon nombre de ces jeux obscurs et révèle leurs charmes imparfaits dans une vidéo : FromSoftware's weird old games. Sa présentation d'Evergrace est assez intrigante, et si je pense me plonger un jour dans le troisième Echo Night c’est en partie lié à cette présentation.

Publicité de FromSoftware, 1997

Il est très difficile de résumer le parcours de fromsoft durant cette période. Cependant, leur capacité à expérimenter, à imaginer des formats narratifs originaux et à créer des identités fortes à leurs jeux est extrêmement perceptible. À noter que certains jeux de cette période sortent parfois de l’ombre : pour exemple, Metal Wolf Chaos (à l’origine une exclusivité japonaise de 2004 sur Xbox) a resurgi en 2019 suite aux efforts de Devolver. Et ce grâce à un tweet.

Un des moyens de se rendre compte de la variété de leur production est de regarder leurs vidéos promotionnelles. Par exemple, l'ending du FromSoftware Premium Disc Evolution 2002.

C’est durant cette longue et foisonnante période, après les premiers King's Field et Armored Core, mais avant la grande ère Miyazaki que sont sortis les deux Otogi.

Panneau publicitaire pour Otogi

C’est alors qu’ils sortirent des Ténèbres – de 2009 à nos jours

Cette ère Miyazaki est arrivée sans heurt ni trompette. L’année 2009 n’a pas marqué les esprits à l’époque. En effet, Demon's Souls a été très bien reçu, mais ce jeu n’est pas instantanément devenu le classique qu’il est aujourd’hui. Et si l’on fait l’effort de ne pas transformer l’histoire, la continuité est évidente.

Demon's Souls is the RPG more westernized version [sic] from the same minds that brought us Otogi.

GreenKnight127 – Forums de GameFAQs

Miyazaki et son équipe ont continué d’itérer sur leur formule : de sortie en sortie, de Demon's Souls en 2009 à Elden Ring en 2022, il est difficile de ne pas remarquer une sorte d’évolution naturelle. Et peu à peu, de petit nom du jeu vidéo, FromSoftware est devenu une référence incontournable.

Je ne peux pas résister à l’envie de partager une des bandes-annonces de 2011 pour Dark Souls premier du nom, dans laquelle L’ADN de petite entreprise proposant des jeux de niche au ton étrange est encore visible.

Ce succès croissant pourrait légitimer le discours expliquant les caractéristiques souvent mises en avant des jeux FromSoftware post-2009 par les choix d’un créateur unique et génial. Et pourtant, il n’y a pas beaucoup à creuser pour savoir ce qu’en disent les personnes les mieux placées pour en parler. En 2015, un senior managing director entré chez FromSoftware en 1997 disait :

Our game development stance hasn't changed in the past 20 years, and in the past, our games used to be treated like shitty games. […] What we believe as far as game development goes has not changed for the past 20 years.

Masanori Takeuchi – Interview pour Game Informer

Et pour preuve, Otogi existe.

Otogi: Myth of Demons

J’avais prévu à l’origine de faire paraître ce billet pour le 12 décembre de l’année dernière, date d’anniversaire (21 ans !) de la sortie du jeu au Japon. Mais j’ai préféré continuer d’y jouer, puis me lancer sur le second. Pour compenser ce retard, je tente de me faire pardonner avec un article plus étoffé.

Reprenons. En 2002, (2 ans avant le recrutement d’un certain Hidetaka Miyazaki) FromSoftware sort donc Otogi en exclusivité sur la Xbox première du nom. Sous la forme d’un hack-and-slash ou d’un beat-them-all, ce jeu d’action 3D dans une veine similaire à celle d’un Devil May Cry propose un monde intrigant, une narration évocatrice et une atmosphère unique.

FromSoftware, déjà FromSoftware

When the winds had passed, all that remained was a Court in ruins, and a city devoid of all life.

Extrait du prologue d'Otogi

Dans un style éminemment fromsoftwarien : nous y jouons un personnage, Raikoh, ni entièrement vivant, ni vraiment mort, à qui est donné l’ordre de libérer des démons un Japon médiéval ré-imaginé. Nous sommes en terrain connu, d’autant plus que le prologue nous indique que le monde est désormais en ruine après avoir vécu une longue prospérité.

Faire un parallèle entre l’introduction du premier niveau du jeu et le désormais célèbre “Oh, arise now, ye Tarnished. Ye dead, who yet live.” d'Elden Ring est difficilement évitable.

Pour vous donner une idée de l’atmosphère du jeu, entre chaque niveau est donnée la possibilité de naviguer dans des menus qui permettent entre autres d’entrer dans un shop pour y acheter armes et accessoires. La première fois qu’on y entre, on est accueilli ainsi :

J’ai commencé Otogi suite à un mélange de hasard et de curiosité. Et c’est après la première mission que le charme a opéré, précisément en tombant sur cet écran, puis en enchaînant avec le niveau suivant. Dès lors, j’étais happé par ce kaléidoscope vidéo-ludique.

Le jeu, dès ses premières secondes et jusqu’à sa fin, est construit autour de ce contraste étonnant : d’un côté un gameplay nerveux avec des graphismes spectaculaires (les environnements destructibles sont admirablement gérés par le jeu, et rendent compte en permanence de la violence de l’action) combinés à une difficulté presque sévère, et de l’autre une atmosphère éthérée à la limite de l’expérience méditative, rehaussée par des partis pris visuels et sonores audacieux.

Indeed, for a game that's filled with plenty of over-the-top action, Otogi has something remarkably subtle about it—almost a Zen-like quality, through the juxtaposition of the intense combat and the contemplative, philosophical speeches of the princess and some of Raikoh's enemies. Raikoh himself never says a word.

Greg Kasavin – Critique du jeu sur GameSpot

Les créations de FromSoftware ont souvent cette capacité, au travers de ce qui semble n’être qu’un jeu classique d’un genre éculé (Dark Souls n’est pas grand-chose de plus qu’un Zelda terne, au premier abord) de proposer une immersion introspective dans un univers plus complexe et profond qu’il n’y paraît. Ce n’est absolument pas pour rien que youtube regorge de vidéos de plusieurs heures créées par des gens ayant fini un ou plusieurs de leurs jeux, et souhaitant partager leur expérience personnelle et leur enthousiasme. Ou de vidéos tentant de percer les mystères de ces mondes inoubliables.

Deux exemples parmi tant d’autres : I Beat the Dark Souls Trilogy and All I Made Was This Lousy Video Essay par Noah Caldwell-Gervais et (en français) Dark Souls par Alt236.

Les deux Otogi ont tout pour provoquer les mêmes réactions. Mais ce sont des jeux ignorés, oubliés dans la ludothèque déjà méconnue des anciennes productions de FromSoftware. Je ne peux que remercier du fond du cœur Demon Apologist d’avoir produit une vidéo pour chacun des deux opus de la série, et d’avoir mis en avant certains des points les plus importants de la narration. Vous pouvez y jeter un œil si vous le souhaitez : Sympathy for the Devil | An Otogi: Myth of Demons Essay et Internalized Foxphobia | An Otogi 2: Immortal Warriors Essay. Petit avertissement néanmoins, ces essais dévoilent (spoilent, comme on dit) à peu près tout le contenu narratif des deux jeux. Ce sont peut-être les seules vidéos se penchant sérieusement sur cette licence.

Tant que l’on parle de vidéos, je vous invite à regarder une des bandes-annonces d'Otogi pour la sortie états-unienne. Sa bande son reprend un des thèmes principaux remixé d’une manière bien plus pêchue que tout ce que vous pourrez trouver dans le jeu. Elle est assez difficile à trouver en qualité correcte et je suis donc heureux d’en proposer une copie disponible à tous.

Plus haut, j’évoquais la difficulté du jeu. Elle est réelle, et le deuxième opus en rajoute une couche. C’est une difficulté caractérisée : elle est réfléchie et partie prenante de l’univers.

Par exemple, le personnage que l’on contrôle est en sursis permanent. Raikoh est en effet maintenu en vie uniquement par la volonté de la narratrice mystérieuse qui nous donne les objectifs de jeu. Dans chaque niveau, la réserve de mana du personnage diminue peu à peu ; lorsqu’elle est vide, ce sont les points de vie qui s’amenuisent jusqu’au game over. Alors que le compte à rebours devient critique, en surimpression sonore par-dessus le reste du jeu, les battements du cœur de Raikoh permettent au joueur de s’immerger dans la tension vécue par le personnage.

Dans ce jeu on connaît toujours les raisons de nos échecs, et c’est à chacun d’en tirer des conséquences, et de réussir en jouant différemment. Otogi essaie au maximum de ne pas être injuste, même si les contrôles d’un autre temps peuvent être source de frustration. Un peu comme pour les premiers Souls, d’une certaine façon.

Échec, et mort dans Dark Souls 1

Cette vision d’une difficulté diégétique assez forte (parler d’exigence serait peut-être plus juste) est généralement reconnue comme élément fondamental des jeux signés FromSoftware. Même si, comme à chaque fois, ça n’est pas toujours compris :

In fact, all that is good about this game is surely overshadowed by the immense difficulty, which offers no real positive emotion to the player, only frustration and panic. Arcade-like in appearance, this game is actually designed to lead to pure frustration, because it requires the player not only inhuman timing but also out-of-bounds patience. […] There is no selectable difficulty level, and given the extreme difficulty I would recommend this game only to those who have the possibility to use a well-functioning trainer or cheat system, because all in all the graphics and sound deserve… but from the gameplay point of view this game is not just pure boredom, but pure frustration, pure panic, pure anger.

mulambo – Critique du jeu sur GameFaqs

FromSoftware aime ses univers tiraillés, et cherche souvent à faire prendre conscience au joueur de la complexité des actes individuels ou collectifs dans un tel paradigme. Otogi n’y échappe pas : le Japon imaginaire qui y est présenté est dévasté et sert aussi de terrain pour des guerres plus ou moins ouvertes entre différentes factions aux intérêts contradictoires. Juger de la moralité des volontés de chaque faction (y compris celle que l’on représente) est complexe et parfois sans réponse absolue. Cet aspect est bien moins présent que dans un Armored Core ou dans Elden Ring, mais une sorte d’écologie des puissances est ébauchée.

D’autres éléments encore pourraient être mis sur la table pour démontrer la continuité entre l’avant et l’après Miyazaki. Otogi 2 par exemple, itère sur le premier opus de la même façon que les suites de Dark Souls pour l’original : en enlevant une part de mystère pour la remplacer par plus de finesse, plus de contenu, et plus de difficulté. Je suis conscient que le cas de Dark Souls 2 est discutable, mais les difficultés de développement n’enlèvent rien à la volonté de l’équipe.

Ce qui fait battre mon cœur

Après avoir tenté de montrer la continuité historique des productions de FromSoftware, je peux me pencher sur d’autres aspects qui me semblent particulièrement réussis et originaux.

En dehors même de la jouabilité et de la narration, la présentation du jeu possède un charme et une élégance rares. Des superpositions de motifs mouvants, colorés, et contrastés forment la majorité des menus. Les descriptions des niveaux, des ennemis qui y sont présents, et des objets divers et variés semblent extraits d’œuvres médiévales (ça n’est pas pour rien, j’y reviendrai un peu plus tard) et s’intègrent admirablement dans des arrière-plans d’une esthétique entre new-age acidulé et vaporwave avant l’heure.

Interface des menus, choix de niveau

Le son du jeu est extraordinaire. Le doublage anglais est imparfait : le boss de fin à un côté ridicule, certains effets sonores sont un peu trop mis en avant, etc. J’ose à peine évoquer l’un des premiers niveaux dans lequel nous est hurlé en boucle un “None shall pass!“ insupportable. Mais dans l’ensemble, c’est un travail hors du commun. Et je n’ai jamais entendu une bande son comparable à celle de ce jeu.

Elle est l’œuvre de Yūki Ichiki, qui ira après cela travailler dans une des équipes les plus renommées quant à leur capacité à intégrer musique et jeu dans un ensemble cohérent : Q Entertainment. Et c’est avec lui que sortiront des perles comme Lumines Electronic Symphony ou Child of Eden.

Son arrivée au sein de FromSoftware est assez amusante :

Back then, I had a hardcore gamer friend, and while she was surfing through websites of her favorite game companies, she found that one company was seeking a sound creator to join their sound section. She recorded my music from a cassette tape to MD and sent it out to this company. This company, known as From Software, liked my work, showed interest in the process of my creation, and hired me: A guy who did not even know how to turn off the PC decided to take this challenge and get into the world of sound design.

Yūki Ichiki – Interview pour GameSpot

Plus subjectivement, un autre élément que j’apprécie dans ce jeu est sa concentration. Le jeu ne traîne pas en longueur, tout à un sens et chaque élément contribue réellement à l’ensemble. Et même si certains niveaux sont réutilisés d’une manière qui transpire le manque de moyens, c’est exécuté avec une certaine élégance qui fonctionne assez bien à mon goût. Même le niveau maximal du personnage est bloqué assez rapidement, et un Lvl Max satisfaisant s’affiche alors sur les menus. Il suffit d’une vingtaine d’heures pour finir le jeu, et cette expérience resserrée sur elle-même est rafraîchissante comparée aux nombreux jeux qui tendent à ajouter du contenu optionnel à la pelle.

Enfin, Otogi restera dans ma mémoire comme une porte d’entrée vers un monde qui le dépasse : l'Otogi-zōshi.

Otogi-zōshi

C’est après avoir terminé le jeu et afin de compenser le manque que j’ai cherché à en savoir plus. D’abord en écumant toutes les ressources sur le jeu lui-même. Puis en me renseignant sur ses origines.

L’otogi-zōshi (御伽草子, otogi-zōshi) fait référence à un groupe d’approximativement 350 récits japonais écrits principalement durant l’époque de Muromachi (1392-1573) et du genre littéraire qui en découle. Ces courtes histoires illustrées dont les auteurs restent inconnus forment ensemble l’un des genres littéraires les plus représentatifs du Japon médiéval.

Wikipedia

Yorimitsu et ses hommes combattant le bandit Hakamadare, qui est aidé par un serpent géant

Comme son nom l’indique, Otogi est inspiré par ce corpus. Il s’agit de contes surnaturels qui invoquent monstres, mondes merveilleux, récits religieux, ou encore anecdotes historiques. Leur ton est extrêmement varié, allant de la fresque guerrière à la comédie, en passant par des leçons de morale.

Je parlais de l’interface du jeu, dans laquelle les présentations d’objets et de monstres paraissaient dans un style ancien. Elles ont été en effet réalisées en hommage au style des parchemins historiques de l’otogi-zōshi. À tel point que l'artbook officiel (excessivement rare à mon grand désespoir) en reprend même le format. Comparez-le avec ceci, par exemple.

Le personnage principal du jeu, Raikoh, est une ré-invention d’un personnage présent dans plusieurs de ces contes, lui-même une ré-imagination d’un personnage historique : Minamoto no Yorimitsu. De la même façon, l’antagoniste, le boss de fin est un personnage historique ayant eu une seconde vie sous la forme de mythes et légendes dans l'otogi-zōshi.

Like the original Otogi, we tried to maintain the underlying Japanese flavor—an epic fantasy based on ancient Japanese folklore and mysticism. Rather than reproducing the actual Japanese architecture or style, we decided to design the environments based on what was in our collective imagination. We recognize that this game is fantasy-based, which allows us more creative and visual freedom.

Masanori Takeuchi – interview pour GameSpot

J’aurais pu me contenter de ces bribes éparses, mais au point ou j’en étais, je me devais de creuser plus profondément. Mon premier réflexe a été de chercher une édition plus ou moins complète du corpus en question, comme je pourrais le faire pour la Matière de France ou la Matière de Bretagne. Raté : ces textes sont éparpillés, et peu traduits.

Je me suis rabattu sur deux sources :

Pour la première source, les parutions en question sont dans le domaine public, et on en trouve facilement des scans un peu partout : ici et par exemple. Et tant mieux, car ils coûtent une fortune.

Il est assez amusant de lire les aventures des personnages des deux Otogi dans ces charmants petits livres illustrés. On y retrouve Raikoh, Seimei, Tsuna, Kintarō, etc.

La deuxième source, ce sont d’épais livres bien sérieux. Épais, à tel point que l'édition abrégée de l’anthologie de la littérature traditionnelle japonaise fait tout de même 600 pages.

On y trouve nombre de textes divers et variés, et certains d’entre eux sont des traductions fidèles et sérieuses des plus anciens otogi-zōshi que l’on peut trouver dans des musées. Dans Monsters, Animals, and Other Worlds, on trouve notamment une traduction magnifique du conte Shuten-dōji par Keller Kimbrough. Je ne peux qu’en conseiller la lecture.

J’ai cherché à comprendre à quel point les légendes concernant Raikoh et ses 4 comparses, Seimei ou encore Masakado étaient encore vivantes aujourd’hui. Et surtout, à quel point leur relecture par FromSoftware diverge de leur utilisation moderne. Je n’ai pas de réponse à apporter à mes propres questions, mais ces contes sont toujours présents dans la culture populaire. Pour preuve, le style de théatre Kagura, moins figé que le ou le Kabuki, continue de faire vivre ces scènes mythiques.

C’est là que je me suis perdu : mon sujet n’était plus Otogi, mais le Kagura pour le Kagura. Exposer plus mon parcours à partir de là deviendrait hors-sujet.

Je ne saurais pas dire à quel point le public japonais est familier avec ces contes, mais je suis certain que l’immense majorité des occidentaux n’en a jamais entendu parler. Et pourtant, ils soulignent les choix de FromSoftware d’une manière intéressante.

Dans Otogi, l’ambiguïté de la moralité des actions de chacune des factions que je décrivais plus tôt coïncide étonnement avec les légendes en question. Et je ne serais pas surpris d’apprendre que FromSoftware a spécifiquement choisi ce corpus pour ces raisons.

Raikō and his retainers are the putative heroes, but they behave in some seemingly less-than-heroic ways, complicating readers’ sympathies for Shuten Dōji and the men who defeat him. They may win in the end, but as characters they lack Shuten Dōji’s power and charisma—his ability to capture the medieval imagination—and it is surely no accident that their story, like the older Tale of the Dirt Spider, came to be named after the monster they slay rather than themselves.

Monsters, Animals, and Other Worlds

Conclusion

J’ai principalement parlé du premier Otogi, mais le deuxième m’est tout aussi cher. Simplement, parler du premier est suffisant pour expliquer l’attrait de la licence, et il est difficile de présenter le second sans spoil de l’original. Et puis de toute manière, si vous souhaitez découvrir la série, c’est par celui-là qu’il vous faudra commencer.

Quoi qu’il en soit, la rencontre avec ces deux jeux m’aura marqué. Je suis étonné d’avancer qu’ils sont peut-être devenus mes jeux FromSoftware préférés. Il ne s’agit pas d’une sorte d’hallucination de ma part, je n’ai pas imaginé des qualités qu’ils n’ont pas.

Otogi is a smash hit – pun intended. It might not represent that in the sales charts but does so where it really matters, in the gameplay. It's so dark, atmospheric and plays so smoothly that you'll just get sucked into the ominous world and battle your way back to reality, even when you don't really want to.

Joseph Jackson – Critique du jeu sur Kiziko

Ces deux jeux ont été très bien reçus à leur sortie, comme l’indiquent à la fois les critiques de l’époque, mais aussi les discussions qu’ils ont provoqué. Aucun des deux jeux ne s’est beaucoup vendu, et donc ces traces sont rares. Le forum anglophone The Next Level héberge un sujet ayant tout de même donné suite à plus de 30 pages de discussions, qui montre des retours dans l’ensemble élogieux.

Colin Newton l'exprime admirablement dans son blog Idols and Realities (qui contient d’ailleurs des articles très chouettes concernant Serial Experiments Lain) :

In fact, “Otogi” never seems to get on any lists. Every now and then there’s a retro review that hails it as one of the original Xbox’s most underrated exclusive titles, but even that’s not quite right. Contemporary reviews of the game were positive, and sales were just strong enough to warrant sequel. Nossir, “Otogi” is not underrated. It is a classic in search of a cult.

Colin Newton – Idols and Realities

Et si jamais tout ceci ne vous convainc pas, et que vous préférez un argument d’autorité, sachez donc qu’un certain Hidetaka Miyazaki apprécie le jeu :

Miyazaki also has fond memories of Otogi: Myth of Demons, a fast-and-furious hack-and-slash affair that FromSoftware released in 2002 (2003 in the UK and US), again only for the Xbox.

Hidetaka Miyazaki – Vice

Je vais donc m’arrêter là, et peut-être relancer une partie. Ou regarder plus de théâtre japonais.


Si vous avez survécu à cette longue lecture, vous êtes récompensés par une chose d’aussi exotique qu’amusante. La campagne promotionnelle d'Otogi a été marquée au Japon par une sorte de crossover improbable avec la musique de Britney Spears via son label Jive Records.

Campagne publicitaire Otogi x Britney Spears

Il existe aussi 2 vidéos promotionnelles qui, à défaut de rendre justice à l’ambiance du jeu sont fun. La majeure partie des copies en ligne sont très dégradées. Heureusement, archive.org existe : à voir par ici et par là.

Je crains d’être incapable d’imaginer les raisons qui ont amené cette campagne publicitaire à exister. Et c’est peut-être aussi bien.

#JeuVidéo #lectures

Source des illustrations :

 
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from dece

Un petit recueil d'articles de réflexion et de synthèses sur les technologies qui servent à nous réchauffer et à nous rafraîchir, à travers l'histoire, avec l'angle habituel du webzine de la simplicité de fabrication et de l'efficacité énergétique. C'est sorti en 2023 et les articles remontent jusqu'à une dizaine d'année en arrière.

J'ai trouvé très intéressant le détail des différents types de chauffage : par convection (nos « radiateurs »), par conduction (ce qui te chauffe en te touchant, e.g. les bouillottes) et par radiation (le Soleil).

Il y a tout un tas de questions intéressantes auquel ces articles apportent des débuts de réponses !

  • Est-ce qu'on devrait tous revenir aux bouillottes ?
  • Est-ce qu'on peut mesurer l'efficacité d'un vêtement à tenir chaud ?
  • Que penser des labels d'efficacité énergétique des habitations ?
  • Est-ce que je peux installer un kakelugn de trois tonnes dans mon studio ?

Ça se lit très bien donc je vous invite à me le piquer.

Une partie des articles peut être retrouvée sur leur site, alimenté par énergie solaire.

🫸🔥🫷

#lectures #solarpunk

 
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from Laërte

La fin de l’année 2023 sur ce blog a été silencieuse. Parmi toutes les raisons de ce calme, deux surnagent. La première, la plus réelle, est somme toute assez banale : une flemme monumentale. Mais c’est la deuxième qui est à l’origine de ce billet : je me suis vautré allègrement dans l’appréciation de l’imperfection.

Dessin d'un corbeau de 1875

Plongeons donc avec Roger Corman dans le monde d'Edgar Allan Poe. Il ne s’agit pas d’une analyse, ni d’une critique, simplement d’un étalage subjectif de mon goût pour certains films précis, avec des images pour donner envie.

La sincérité : Poe vu par Roger Corman

Corman est un nom bien connu dans le monde du cinéma. Son apport est amplement documenté, et je ne vais pas refaire la liste de tous les acteurs ou réalisateurs qui ont fait leurs premières armes sous son aile. L’éloge de sa filmographie ne m’intéresse pas plus : j’ai beau apprécier une grande partie de ses films (même certains des moins bons), celle-ci est trop longue et variée pour que je m’y penche sur un simple billet comme celui-ci.

Extrait de The Masque of the Red Death

Sa série d’adaptations de nouvelles d’Edgar Allan Poe, parfois appelée Cycle Poe est souvent considérée comme son travail le plus important. Avec légèrement plus de moyens qu’à son habitude, Corman y adapte des textes robustes à l’aide d’une équipe aux pratiques de tournages bien rodées, accompagné d’un Vincent Price extrêmement à l’aise dans les rôles écorchés des personnages centraux des nouvelles choisies. Les qualités de ces films s’en ressentent, et expliquent leur réputation.

Pour autant, ce sont des œuvres imparfaites. Et plus encore lorsque considérées en tant que cycle. Plusieurs films semblent régurgiter la même histoire, les décors sont réutilisés (même si augmentés et peaufinés) à chaque itération, un des films est en fait une adaptation de Lovecraft, et écrire Edgar Allan Poe sans faute sur tous les génériques semble avoir été une tâche trop ardue. Je pourrais longuement continuer cette liste de défauts, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prouver l’imperfection.

Extrait du générique de The Haunted Palace, montrant une faute à Allan, écrit Allen

J’apprécie énormément ces adaptations, et leurs faiblesses et erreurs n’enlèvent rien selon moi à leur éclat. Ce qui les démarque d’une majeure partie de la filmographie de Roger Corman et du catalogue de l'AIP est une sincérité dans le propos. Bien sûr, si l’AIP a accepté de produire ces films avec un budget plus conséquent qu’à son habitude, c’est dans l’espoir d’un retour sur investissement. Mais derrière ce pari commercial, tout indique une volonté forte de la part de Roger Corman.

Il explique volontiers pour BFIEvents avoir découvert Poe à l’âge de 12 ou 13 ans et avoir été complètement happé par son univers. Dans la même vidéo, il rappelle qu’à l’époque du tournage Poe restait pour lui une passion.

In 1960, when AIP execs Arkoff and Nicholson asked Corman to make yet another pair of low-budget black and white horror films, he told them he had a better idea, a movie adaptation of Edgar Allan Poe’s The Fall of the House of Usher. Nicholson and Arkoff initially balked at the concept, which differed wildly from their then-staple trade in monster B-pics aimed at drive-in adolescent audiences. “Where’s the monster?” asked Arkoff.

Karina, Horror film history

Au producteur de l’AIP qui s’inquiétait au sujet d’une adaptation de La Chute de la maison Usher et demandait où se situait le monstre dans cette histoire, Corman répondit « Sam, la maison est le monstre. » ; un propos sincère, une volonté dépassant l’aspect mercantile.

Renversement du fantastique

Cette vision ne se retrouve pas uniquement dans House of Usher, le premier film du cycle. Une majeure partie de la série se détache ainsi de la vision du cinéma horrifique de l’époque : l’horreur ne se situe plus dans un élément terrible faisant intrusion dans une réalité normale, mais dans un écosystème. Le malaise ou la peur naissent de l’immersion progressive dans un environnement : un lieu et son histoire, ses habitants et leurs passés. Exactement à l’inverse du schéma monstre/normalité, c’est un élément exogène normal qui fait irruption dans la réalité monstrueuse.

On est au final assez proche de l’imaginaire du vampire au cinéma, dans lequel l’innocent naïf découvre peu à peu la réalité fantastique du vampire et de son univers, mais le vampire est absent : un lieu joue son rôle.

Corman ne cherche pas à brouiller les pistes. Le début de chaque film intègre une séquence caractéristique qui permet de s’identifier à l’élément extérieur, un personnage normal. On le voit se rapprocher d’un lieu, puis d’une porte, véritable entrée dans l'écosystème fantastique. Ce plan de l’innocent face à la porte en devient presque caricatural. Seul The Raven y échappe, en ne présentant que quelques plans de contexte. Cela s’explique aisément par sa spécificité : ce film n’est pas une plongée dans l’étrangeté, mais une comédie. Il n’est pas surprenant d’y voir donc des différences de ce type.

Extrait de House of usher, personnage face à une porte Extrait de The pit and the pendulum, personnage face à une porte Extrait de premature burial, personnage face à une porte Extrait de Tales of terror, personnage face à une porte Extrait de The Raven, plan de contexte sur un château isolé Extrait de Haunted palace, personnage face à une porte Extrait de Masque de la mort rouge, calèche entrant dans le porche d'un château Extrait de Tombe de Ligeia, personnage face à une porte

Les deux films les plus récents, The Masque of the Red Death et The Tomb of Ligeia brisent légèrement la présentation1. Ce renouvellement est bienvenu : personne ne veut voir 8 films identiques de suite.

House of Usher plonge entièrement dans cette thématique, et l’assume jusqu’au bout. Alors même que la maison se craquelle de toute part, le personnage extérieur tient une conversation avec un des occupants de la demeure :

Philip Winthrop : “How long has that been going on?” Bristol : “So long I’m hardly aware of it anymore. It’s just the settling of the house.” Philip Winthrop : “That settling could cause this entire structure to collapse. That doesn’t worry you?” Bristol : “Oh no, sir. If the house dies, I shall die with it.”

Le bâtiment même est vivant, respire, évolue et finira par mourir.

Thème et variations – onirisme fantastique

Ce cycle est répétitif (ce n’est pas un défaut, tout juste une caractéristique) : les thématiques, acteurs et décors s’y retrouvent quasiment sans exception dans les 8 films. Vincent Price y tient un rôle principal dans tous sauf un, The Premature Burial. La photographie et les décors sont homogènes, sauf pour The Tomb of Ligeia. Les séquences oniriques tiennent une place importante dans presque chacun des film, Corman vernissant l’œuvre de Poe d’une dimension psychanalytique.

Corman exhibe une ambition artistique plus évidente que dans ses autres films, et il entend moderniser le cinéma gothique en l’éclairant de sa propre lecture psychanalytique, sommaire mais cohérente.

Olivier Père – blog ARTE

La fascination de Corman pour l’expressionnisme est presque palpable, beaucoup a été dit sur le sujet. Il est fort probable que je ne fasse que paraphraser le monde entier si je radote sur l’utilisation des escaliers omniprésents et des couloirs tortueux.

Extrait The pit and the Pendulum, 2 personnages descendant un escalier

Ce que je souhaite pointer du doigt, ce sont les séquences oniriques évoquées plus haut, extrêmement parlantes non par leur interprétation symbolique, mais par leur simple force cinématographique : une sorte d’enfant terrible d’un expressionnisme allemand ré-imaginé, greffé sur une vision originale de ce qu’auraient pu être les films de la Hammer.

Extrait de séquence onirique des adaptations de Poe par Corman Extrait de séquence onirique des adaptations de Poe par Corman

Des effets spéciaux assez simples : filtres colorés, objectifs déformants, fumées, jeux d’éclairage et de fondus. Une technique éprouvée : jeu théatral et exagéré, plans muets ayant pour seule bande son une musique orchestrale tendue.

Ces techniques cinématographiques ne sortent pas de nulle part, et si on est particulièrement amené à penser au cinéma des années 20 durant ces scènes, ça n’est pas pour rien2 : Pawel Aleksandowicz rappelle que Corman a étudié l’expressionisme allemand avant le tournage de cette série de films.

These similarities to expressionism are no coincidence – prior to shooting the Poe series, Corman studied the works of German expressionists.

Pawel Aleksandrowicz – The Cinematography of Roger Corman

Extrait de séquence onirique des adaptations de Poe par Corman Extrait de séquence onirique des adaptations de Poe par Corman

Vincent Price, une incarnation parfaite

Vincent Price a eu une longue et dense carrière. Il savait cuisiner du poisson au lave-vaisselle3, était un acteur hors du commun, a inspiré Tim Burton, a participé à la meilleure partie de Thriller de Michael Jackson, et a été l’incarnation parfaite de l’univers de Poe. Non seulement en prenant les rôles de plusieurs personnages de ses nouvelles, mais aussi en enregistrant des lectures de ses textes.

Vicent price de profil dans Evening with Edgar Allan Poe

Regarder, écouter An Evening with Edgar Allan Poe, c’est découvrir la capacité de Vincent Price à faire prendre corps à ces nouvelles. On en trouve facilement des critiques élogieuses, et ça n’est pas pour rien :

Price seamlessly creates an entire world in each 15-20 minute segment, commanding the screen and crafting subtle gradations of character evolution through every turn of phrase and each layered glance.

Paul Farrell – bloody-disgusting.com

Il y a bien entendu une pelletée d’acteurs de grande carrure dans ces films : Hazel Court, Boris Karloff, Peter Lorre, et même un jeune Jack Nicholson. Mais Price est présent dans 7 films sur 8, et son jeu transperce et transcende l’entièreté du cycle.

Vincent Price dans House of Usher

Un acteur investi, personnifiant à merveille les personnages de Poe sous la direction d’un Corman passionné et convaincu, cette rencontre est l’essence de la réussite de ces films. Imaginer The Masque of the Red Death sans Price est une tâche ardue. Le réalisateur semble aussi de cette idée :

« Jamais, pour rien au monde, je n’aurais imaginé qu’après plus d’un demi-siècle, les gens parleraient encore de ces films. J’en suis très honoré, mais je sais qu’une bonne part de cette postérité est due au travail de Vincent Price. »

Roger Corman – Télérama

Et bien d’autres choses

Je pourrais aussi évoquer les musiques de ces films, particulièrement celles composées par Ronald Stein. Si vous le pouvez, écoutez celles de The Haunted Palace et The Premature Burial. La manière dont Poe est détourné en comédie pourrait faire l’objet d’un article complet. Les génériques mériteraient aussi qu’on se penche sur eux.

Extrait du générique de fin de The Masque of the Red Death Extrait du générique de The pit and the Pendulum Extrait du générique de début de House of Usher

Plutôt que de lire mon enthousiasme concernant tous les détails de ces films, il vous sera plus agréable les regarder. D’autant plus qu’ils sont désormais disponibles en très bonne qualité (certains ont même profité d’une magnifique restauration, The Masque of the Red Death est superbe !). Nul besoin de se les infliger les uns à la suite des autres ; n’ayant aucun lien narratif entre eux, les regarder en cherchant à suivre une chronologie n’est pas nécessaire non plus. Néanmoins, je conseillerai tout de même un ordre un peu particulier :

  • House of Usher – premier film de la série, assez pur dans son propos et sa présentation.
  • The Masque of the Red Death – avant-dernier film, certainement un des meilleurs, afin de voir à quel point ce cycle peut pousser le concept dans ses retranchements.
  • The Pit and the Pendulum – le deuxième à être sorti, très proche du premier. Il est préférable de ne pas voir les deux de suite afin de ne pas se lasser précocement.
  • Tales of Terror – une sorte d’anthologie de 3 histoires, la deuxième possède un ton résolument humoristique et le changement général de rythme est bienvenu.
  • The Premature Burial – troisième film du cycle, relativement similaire aux deux premiers, peut-être un peu moins bon.
  • The Raven – une pure comédie, avec des acteurs brillants. Ceux qui ont aimé la deuxième partie de Tales of Terror ont des chances d’apprécier.
  • The Haunted Palace – retour au sérieux, avec cette fois-ci une adaptation de Lovecraft, pourquoi pas après tout ?
  • The Tomb of Ligeia – enfin, le dernier, l’adaptation la plus fidèle au texte d’origine, filmé en extérieur avec une photographie plus classique : un très bon film pour clore le cycle, différent dans sa présentation mais bourré de qualités. Peut-être mon préféré ?

Et puis bien sûr, il y a les textes d’origine. Les éditions Phébus ont sorti une nouvelle traduction de l’ensemble des nouvelles de Poe. J’ai entamé le premier tome, et je ne peux qu’en conseiller la lecture (qui n’enlève rien à la qualité des traductions historiques par Baudelaire).

Dessin de travail d'une tête de corbeau pour une édition de The Raven de 1875

#cinéma

Source des illustrations :


1 Dans The Masque of the Red Death, le jeu entre intérieur et extérieur est amplifié à l’extrême : le personnage exogène est intégré de force dans l’intérieur fantastique, mais l’extérieur normal est aussi la source d’une part d’irréel. Certains personnages cherchent à rentrer mais ne le peuvent, d’autres à sortir, etc. Dans The Tomb of Ligeia, la frontière est plus grande, plus floue. L'écosystème est un territoire, et non une demeure fermée ; la porte ayant une portée moindre, ce qui est mis en avant est plutôt l’intrusion dans le domaine. D’une certaine manière, les prémices de cette variété d’utilisation du concept sont déjà présentes dans The Haunted Palace. La demeure fantastique transpire son irréalité sur le village voisin, et celui-ci en retour est moteur de changement dans la demeure.

2 Si cette période du cinéma ne vous évoque rien, je ne peux que vous conseiller des films tels que Le Golem, Le Cabinet du docteur Caligari, ou encore Nosferatu le vampire. Ces trois films appartiennent au domaine public, et sont facilement trouvables.

3 Vincent Price était réellement un très bon cuisinier, et a publié plusieurs livres de cuisine, dont certains écrits à 4 mains avec sa femme Mary.

 
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from Laërte

Tenir un blog sans établir préalablement un thème structurant son contenu est un exercice ambigu : on peut laisser libre cours à ses envies d’écriture, mais des frontières sont à établir tout de même. Tout ne se partage pas, ou du moins tout ne se partage pas sans passer par un filtre. Avec le temps, le filtre peut s’affiner ; il n’est pas si rare de lire un blog à rebours, et de parcourir à l’envers la route qui a mené d’un contenu fourre-tout à une thématique précise.

arbre perdant ses feuilles

Je suis loin d’en être là, le contenu que je propose ici est encore en cours de définition. Et en attendant que j’aborde certains sujets, ce billet est pour moi une manière de partager quelques unes de mes lectures qui sont pour le moment au même point que ce blog : ébauchées ou fragmentées.

Je ne finis pas toujours les livres que je commence ou ré-aborde. Je ne tire aucune fierté du fait de finir tel ouvrage qui m’est difficile à lire, et je ne me lance pas de défis de lecture. Je lis ce que je souhaite quand je le désire. J’ai parfois goût à me plonger dans ce que je n’aime pas, par curiosité, pour me laisser la possibilité de changer d’avis, ou simplement pour mieux comprendre mon ressenti négatif face à une œuvre ou un auteur, mais en aucun cas je me force.

Rien n’indique que je vais achever la lecture des ouvrages listés plus bas, mais une lecture parcellaire a sa propre valeur, et c’est elle que je veux évoquer, ainsi que son contexte ; à quoi sert un blog si on ne parle pas égoïstement de soi ?

book cover

Célubée — Isabelle Hausser

Un ami fit il y a peu un passage par chez nous, c’était la fin de l’été, au cœur de la saison des vides-greniers et des braderies. Et justement se tenait en ce jour celle de la ville ou je réside.

Nous en avons fait un tour, et j’en ai profité pour acquérir quelques livres à bas coût. L’ami en question, alors que nous nous apprêtions à rentrer fit une lecture rapide de la quatrième de couverture d’un livre qui avait attiré son regard et me dit quelque chose du type « j’ai rien compris ». À sa décharge, il était épuisé. Intrigué, je ramenai la chose. C’était Célubée.

Nous étions maudits, plus encore que je ne le supposais. Ce qui était arrivé aujourd’hui, en pleine lumière, avait dû se produire à maintes reprises déjà, sans que personne s’en aperçoive.

Il s’agit d’une forme de fantasy calme, sans elfes ni mages ; un monde imaginaire servant à la fois de matière brute et de prétexte romanesque. Certaines choses me parlent, on y trouve un récit dans le récit, construit et narré de l’intérieur par les protagonistes. C’est un procédé souvent mal utilisé, mais ici, une certaine finesse est déployée dans l’entremêlement des narrations.

cité légendaire

Alors que je cuisinais tout à l’heure, j’ai tout juste entamé le deuxième tiers de ce roman plutôt imposant. Je l’apprécie pour l’instant, son rythme lent et maîtrisé y est pour quelque chose. Il est tout à fait possible néanmoins que l’ennui prenne le pas sur l’envie de découverte. Quoi qu’il en soit, je n’avais jamais entendu parler ni de ce livre, ni d’Isabelle Hausser en général, et il est plutôt rare qu’un roman de fantasy ne me tombe pas des mains en moins d’une heure. Il me semble donc important d’en partager ici l’existence. Et il est probable que je m’intéresse aux autres écrits de l’autrice s’il y en a.

L’Éthique — Baruch Spinoza

Quiconque a lu l’Éthique se souvient au moins autant de l’acte de déchiffrage de ce texte que de son contenu. Et je refuse de croire que quelqu’un puisse avancer qu’il s’agit d’un écrit facilement abordable et qui se lit naturellement.

I. J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence ; autrement dit, ce dont la nature ne peut être conçue sinon comme existante.

Ce livre est un monument, non par sa taille, mais par son propos et sa forme hors du commun. Spinoza s’est évertué a raisonner comme on le ferait pour une démonstration géométrique : tout tourne autour de définitions, propositions, démonstrations, axiomes, etc.

II. Cette chose est dite finie en son genre, qui peut être limitée par une autre de même nature. Par exemple un corps est dit fini, parce que nous en concevons toujours un autre plus grand. De même une pensée est limitée par une autre pensée. Mais un corps n’est pas limité par une pensée, ni une pensée par un corps.

J’ai lu il y a longtemps ce texte, et il m’a laissé un souvenir durable. Trouvé pour moins d’un euro à la braderie évoquée plus haut, je me suis laissé tenter. Et le lendemain matin, levés bien tôt pour accueillir des artisans qui devaient intervenir dans notre logement, en compagnie de l’ami épuisé qui fut la cause de l’acquisition de Célubée, la lecture put avoir lieu.

III. J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi : c’est-à-dire ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’une autre chose, duquel il doive être formé.

J’ai donc, je ne sais plus exactement pour quelle raison, commencé de lire l’Éthique à voix haute. Après réflexion, c’est certainement une des pires choses à infliger à une personne sortant d’un festival, à peine reposée par une nuit courte interrompue par l’arrivée de menuisiers et de peintres.

géométrie

Quoi qu’il en soit, l’anecdote est amusante, et même si je ne pense pas continuer cette relecture tout de suite, l'Éthique reste un livre magnifique quoi qu’imparfait. Et je peux qu’en conseiller la lecture à ceux qui seraient intrigués par sa forme ou son sujet.

Jane Eyre — Charlotte Brontë

Voici une chose bien connue, dont seul le nom m’était familier. C’est la seule des sœurs Brontë dont je n’avais rien lu jusqu’à présent, malgré la grande réputation de ses romans.

Jusqu’ici j’ai raconté avec détail les événements de mon existence peu variée ; pour les premiers jours de ma vie il m’a fallu presque autant de chapitres que d’années ; mais je n’ai pas l’intention de faire une biographie exacte, et je ne me suis engagée à interroger ma mémoire que sur les points où ses réponses peuvent être intéressantes ; je passerai donc huit années sous silence ; quelques lignes seulement seront nécessaires pour comprendre ce qui va avoir lieu.

Premier constat : l’écriture est austère, même si élégante. La traduction que j’ai sous la main y est pour quelque chose je crois. Elle est très certainement datée, peut-être peu fidèle, mais sa langue surannée crée une patine qui ajoute une allure convenant agréablement à l’atmosphère dure et étouffée d’un XIXᵉ siècle anglais qui ne cache pas ses tourments.

victorian woman

Loin de moi la prétention de vouloir exprimer ce qu’est Jane Eyre. Tout au plus, je peux en faire un résumé ingrat : c’est une sorte de roman anglais, qui sous une forme pseudo-autobiographique propose un récit dont le sous-texte féministe est à la fois affûté et salvateur dans un siècle de littérature dominé injustement par des grands hommes de lettres.

Ma lecture est pour le moment en pause. Mais je ne vois pas ce qui empêcherait non seulement je la termine, mais aussi que je jette un œil à la version originale. Ce roman fait indéniablement partie de ceux dont l’image qu’on peut avoir d'eux a priori correspond à la réalité. Mais comme souvent dans ce genre de situation, la réalité du texte est bien plus belle que l’imaginaire qu’on peut en avoir.

#lectures

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Rarement, mais c’est à chaque fois bienvenu, l’occasion se présente à moi d’acheter à très bas prix des albums. Ces événements éphémères semblent alors entrer en conjonction avec deux constantes de ma vie : j’apprécie la musique enregistrée sur support physique, et je n’ai jamais été bien riche.

phonograph mecanism

Précisons : je ne parle pas simplement d’aller fouiner chez des disquaires spécialisés dans l’occasion, de commander en ligne, ou d’errer dans je ne sais quel vide-grenier. Il y a eu la période ou les disques vinyle ne valaient plus rien ; certaines boutiques les vendaient au poids, et des particuliers se débarrassaient de leur collection à des prix dérisoires. Aujourd’hui, il s’agit plus généralement d’événements peu réjouissants. Par exemple, la fin d’un disquaire, qui brade donc sa marchandise avant de fermer boutique.

Je vis actuellement un de ces moments rares. Et, même si vous n’êtes pas amateur de support physique, si la chose se présente à vous, je vous encourage à expérimenter ce que je décris plus bas.

Interlude hors sujet

On pourrait se demander quelle raison peut pousser quelqu’un à continuer d’utiliser des supports obsolètes tels que le CD à une époque ou des services en ligne proposent des collections à la fois démesurées et accessibles à bas prix (voire gratuitement).

Je ne pense pas qu’on puisse trouver d’argumentaire rationnel sur le sujet qui permettrait d’affirmer une supériorité du support physique sur le support numérique. Même si certains points sont défendables et peuvent quoi qu’il en soit être intéressants (il est possible que je décrive ma vision personnelle dans un billet à venir), cette question nous amène hors de mon propos du jour.

Attraits et mystères de l’inconnu

La musique enregistrée me fascine, et les albums me parlent. Leur capacité à témoigner d’une volonté créatrice et d’un moment humain passé, leur histoire, et d’autres caractéristiques encore me poussent à les considérer comme des objets extraordinaires. Et fouiller dans des bacs remplis d’albums connus et inconnus est une expérience qu’il m’est difficile de décrire. Et qui attise chez moi une curiosité, une envie de découverte.

soundwaves

Malheureusement le coût d’un CD fait qu’il m’est généralement impossible de tenter l’aventure d’un achat inconsidéré. Acheter un album sans en connaître le contenu, les artistes, la mouvance, ou encore le label, est un risque que je ne peux me permettre en temps normal. Alors bien entendu, on peut noter le nom des albums intrigants, et assouvir sa curiosité tranquillement derrière son ordinateur une fois à la maison. Mais dans ce cas, autant errer directement en ligne et piocher au hasard dans les infinités musicales qui sont disponibles en quelques clics.

C’est donc là que les occasions que je citais en introduction de ce billet entrent en jeu. Ces moments ou l’on peut combiner le fait de fouiller des bacs remplis d’inconnu musical, et ou s’ouvre la possibilité de ramener chez soi ces objets contenant ces musiques mystérieuses et attirantes. Acheter une vingtaine d’albums à moins d’un euro pièce, si l’on en prend quelques-uns dont on est certain de la qualité, permet cette expérience sans risque financier.

Dévoilement

Une fois chez soi, on peut aller donc à la rencontre du contenu de ces albums aux noms exotiques, ou aux pochettes intrigantes qui ont attisé la curiosité. Mon conseil, si vous vous trouvez dans ce cas, est de simplement écouter les différents albums sans chercher préalablement à se renseigner sur les œuvres ou artistes, et de vous laisser prendre au jeu de la découverte à l’aveugle. Vous pouvez même faire ça en groupe, entre amis ou en famille pour plus de fun.

records

Bien entendu, il y aura des déceptions : l’imaginaire que l’on développe par l’aspect visuel seul (illustrations, nom des groupes, titres…) peut ne pas correspondre à la réalité, certains albums sont simplement passables, ou sont représentants de genres avec lesquels on a peu d’affinité.

Mais assez souvent, l’expérience est positive. Et parfois, on tombe sur quelque chose qui nous touche profondément, ou nous parle personnellement. Et ces découvertes restent en mémoire pendant des années ou des décennies : le souvenir de l’instant du dévoilement rendant plus fort encore la relation que l’on entretient avec l’œuvre.

Je ne peux terminer ce billet sans citer quelques-unes de ces trouvailles, que je vous encourage à écouter : l’énigmatique et entêtant Salades, du groupe KMA, le groupe Pygmylush et son magnifique album Bitter River, l’expérience psychédélique Gloria In Excelsis Stereo par Gloria, ou encore le label étrange Perverted Son Records via sa compilation Keep Frozen.

Pour en revenir à mon introduction : si vous en avez l’occasion, tentez votre chance. Autre chose encore : les médiathèques proposant des collections de CD permettent quasiment la même expérience. Profitez-en tant que ces services existent. Et lorsqu’ils ferment, les collections sont fort souvent bradées à faible prix, pensez-y.

Et qui sait, vous tomberez peut-être sur une rareté, et vous pourriez vous découvrir l’âme d’un conservateur, vous donnant pour mission de préserver et partager un enregistrement oublié de tous.

warped

#musique

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from Laërte

Avant-hier, je me suis rendu à un vernissage d’exposition. Jusque-là, rien de surprenant en dehors du fait que je n’assiste presque jamais à ce type d’événement. Mais il s’avère que j’ai contribué à la création d’une des œuvres présentées. Et avec un peu de recul, force est de constater que le parcours qui m’a amené à ça est assez amusant.

palmiers

Plutôt que de vous enjoindre à visiter l’exposition en question, ou de présenter ce à quoi j’ai participé, je préfère d’abord parler de ce cheminement.

Le modding, une étrange chose

Le modding est une pratique étrange, consistant à modifier un jeu vidéo pré-existant. Il s’agit au fond d’une manière parmi tant d’autres de s’impliquer dans le monde vidéo-ludique : on peut jouer, on peut créer des jeux vidéo, on peut s’impliquer dans des communautés, on peut critiquer, on peut modifier, etc.

C’est aussi une activité beaucoup moins monolithique qu’il pourrait y paraître au premier regard : certains jeux sont prévus pour être moddés, d’autres non, avec des éditeurs qui tentent de l’empêcher ou n’envisagent même pas la possibilité. Certains moddeurs ont pour but de créer du contenu jouable, d’autres de corriger ou rééquilibrer un jeu, d’autres encore de s’amuser avec de l’improbable, et certains y cherchent une activité créatrice presque décorrélée du jeu vidéo.

Du jeu au non-jeu

Mes premiers pas dans le domaine étaient motivés par l’envie classique de créer du contenu jouable supplémentaire pour des jeux que j’appréciais. Ces tentatives n’ont jamais donné de résultat satisfaisant, et je suis presque heureux que plus rien ne subsiste de mes anciennes créations sur des jeux comme Doom ou Quake.

modding

Puis cette envie a cédé le pas à de la curiosité concernant le processus de fabrication de jeu vidéo. L’éditeur de Morrowind m’a beaucoup apporté sur le sujet, et je me suis un temps assez largement impliqué dans la communauté des moddeurs de ce jeu. Et puis tout ceci m’est passé.

C’est bien plus tard que le modding m’est retombé dessus par une voie détournée. J’ai beaucoup joué à World of Warcraft (WoW) pendant quelques années. Et au bout d’un certain temps, ma fascination première a été l’exploration. Non l’exploration prévue par les développeurs, mais une forme plus étrange : le but était d’aller voir par des moyens détournés l’envers du décor. Mes accomplissements étaient d’accéder à des zones non finies, des sommets de montagnes prévues pour n’être que des arrières plans, etc.

Et c’est là qu’est née l’idée d’aller voir dans les fichiers du jeu s’il ne s’y trouverait pas des choses non implémentées à voir et à découvrir. Et de fait, les fichiers de WoW regorgent de brouillons, esquisses abandonnées, et autres vestiges du processus de développement. Et avec un peu (très peu, à l’époque) de technicité, il est tout à fait possible de les voir dans le jeu. Le modding m’avait donc rattrapé.

Il s’agissait dès lors d’une étonnante chasse à la connaissance en environnement hostile ; cette pratique était formellement interdite par Blizzard (le développeur et éditeur du jeu), et l’on pouvait considérer ça comme une forme d’acte d’émancipation dans un produit travaillé pour proposer une expérience de jeu la plus lisse possible. Si l’on ajoute à ça le fait que WoW est fondamentalement multijoueur, on comprend pourquoi des communautés entières se sont réunies autour de ces pratiques marginales.

worldmap

Une forme étrange de réappropriation collective a alors lieu : un jeu et ses règles s’effacent derrière un terrain de jeu et d’expérimentation. L’étape suivante, qui fut franchie presque mécaniquement, fut la création de contenu. Non pas jouable, je n’ai pour ma part jamais imaginé réussir à créer du contenu digne d’un mmorpg aussi populaire avec des outils rudimentaires. Il s’agissait plutôt de créer pour créer. Un acte délibérément abstrait.

Bien des années plus tard, cette vision s’est concrétisée lorsqu’une bande de joyeux drilles dont j’étais membre a fini par mettre au monde une vidéo nommée Coffee induced dreams. J’ai certes été à l’origine du projet, mais le travail fut collectif autant que colossal : environ 8 ans de travail irrégulier, des milliers d’heures d’investissement personnel de la part d’un gros paquet de gens, le tout en utilisant une somme de savoir et d’outils (parfois créés pour l’occasion !) accumulés depuis la sortie du jeu. Et ça afin de proposer une sorte de court métrage sans message évident, sans scénario, quelque part entre démonstration technique, expérimentation, et manifeste pour une réappropriation de la matière jeu vidéo.

Voilà la chose, pour ceux qui souhaiteraient y jeter un œil. Et je me dois d’avouer que je reste aujourd’hui très fier à la fois du travail effectué, et du résultat.

Toutes les bonnes choses ont une fin

La situation ainsi que mon rapport au modding auraient pu en rester là. Soit par une continuation de cette pratique sous cette forme, soit comme je le croyais par un arrêt définitif.

En effet, j’ai beau avoir développé durant ce temps un discours autour du jeu vidéo, et de sa souhaitable réappropriation dans la création artistique en tant que matière, au sens plastique du terme, le fait est que j’avais tourné la page.

Jusqu’au jour ou un couple d’amis sont venus nous voir, pour nous proposer une collaboration autour d’un projet d’installation artistique composée entre autres d’une part interactive dont les fondations reposent sur le travail que nous avions effectué sur WoW.

Des palmiers, par centaines et par milliers

Je ne suis pas bien placé pour résumer la proposition artistique des amis que j’évoquais. Si vous habitez dans le coin de Rennes, le mieux est peut-être pour vous de vous déplacer aux Ateliers du vent pour découvrir l’exposition Vaporwave: A Liminal Space. Vous avez jusqu’au 16 juillet, donc ne traînez pas. Notre installation est celle appelée Palmeraie 2000.

exposition Vaporwave aux Ateliers du vent

Je vais donc parler plutôt de ce qui a fait la particularité de ce projet pour moi. Premièrement, ma pratique du modding a quasiment toujours été motivée par des raisons personnelles : des projets qui m’étaient propres, ou bien d’autres sur lesquels j’avais été partie prenante de leur naissance. Ensuite, ces différentes créations ont toujours été plus ou moins autonomes : soit cantonnées à leur espace d’origine, le jeu, soit prévues pour être filmées et donc stabilisées sous une forme pérenne.

Et là, je me suis donc retrouvé à travailler en groupe, en m’adaptant à une demande externe, le tout pour proposer une expérience interactive intégrée à une installation dépassant largement le cadre du jeu.

exposition Vaporwave aux Ateliers du vent

Autre point intéressant, le détournement. World of Warcraft est un jeu dont le monde est essentiellement statique. Tout changement sur le terrain demande une mise à jour du jeu, ou des manipulations un peu étranges. Nous souhaitions que des palmiers apparaissent sur le territoire de jeu auquel seront confrontés les visiteurs de l’exposition. Et qu’une autre interface permette d’y ajouter et d’y enlever de nouveaux palmiers. En bref, que le monde soit évolutif et interactif. Il a donc fallu détourner singulièrement les outils mis à disposition par le jeu et une bonne dose d’effort collectif pour arriver à ce résultat.

exposition Vaporwave aux Ateliers du vent

Cette vision du modding ou l’on dépasse à la fois les limites du jeu, mais aussi les limites jouables du jeu et de son moteur est à mon goût extrêmement intéressante, et j’adorerais voir d’autres travaux pensés dans ce sens. Il serait par exemple impossible d’utiliser les techniques d’évolution de la carte que nous avons mises en place pour créer quelque chose de réellement jouable dans le moteur de WoW.

Des fins qui ne durent pas

J’ai déjà abandonné le modding après mon passage sur Morrowind, puis une deuxième fois suite à mon passage sur World of Warcraft. Le projet Coffee induced dreams m’a poussé à réinstaller WoW et à m’y replonger. Ensuite, rebelote avec Palmeraie 2000. Je peux m’avancer sur une chose : je me relancerai peut-être dans du modding à l’avenir, mais certainement pas sur World of Warcraft, mes liens avec ce jeux sont défaits depuis trop longtemps désormais. Nous verrons bien ou les vents futurs me porteront.

#Modding #JeuVidéo

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